Aller au contenu

Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 2.djvu/57

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

la veille ; mon premier mouvement a été de porter mes deux mains à ma tête ; j’ai senti qu’elle était rasée ainsi que ma barbe… Cela m’a grandement affligé ; mais au lieu d’entrer en fureur, comme je l’aurais fait la veille, j’ai seulement versé quelques larmes en regardant le maquignon avec beaucoup de crainte… Oui, j’ai pleuré devant cet homme… oui, je l’ai regardé avec crainte !…

Que s’était-il passé en moi depuis la veille ? Étais-je encore sous l’influence de ce philtre versé dans le vin ? Non… ma torpeur avait disparue : je me trouvais dispos de corps, sain d’entendement ; mais, quant au caractère et au courage, je me suis senti amolli, énervé, craintif, et, pourquoi ne pas le dire ? lâche !… oui… lâche !… Moi, Guilhern, fils de Joel, le brenn de la tribu de Karnak, je regardais timidement autour de moi, presque à chaque instant mon cœur semblait se fondre, et les larmes me montaient aux yeux, de même qu’auparavant le sang de la colère et de la fierté me montait au front… De cette inexplicable transformation, due peut-être au sortilège, j’avais vaguement conscience, et je m’en étonnais… puisque aujourd’hui je m’en souviens, je m’en étonne, et qu’aucun des détails de cette horrible journée ne s’est effacé de ma mémoire.

Le maquignon m’observait en silence d’un air triomphant ; il ne m’avait laissé que mes braies. J’étais nu jusqu’à la ceinture ; je restais assis sur ma couche. Il m’a dit :

— Lève-toi…

Je me suis hâté d’obéir. Il a tiré de sa poche un petit miroir d’acier, me l’a tendu, et a repris :

— Regarde-toi.

Je me suis regardé : grâce aux sortilèges de cet homme, j’avais les joues vermeilles, le teint clair et reposé, comme si d’affreux malheurs ne s’étaient pas appesantis sur moi et sur les miens. Cependant, en voyant pour la première fois dans le miroir ma figure et ma tête complètement rasées, en signe de servitude… j’ai de nouveau versé des larmes, tâchant de les dissimuler au maquignon, de crainte de l’in-