Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 3.djvu/118

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– Tais-toi, femme !… — m’écriai-je en l’interrompant, — tais-toi ! tes monstrueuses paroles attireraient sur nous la foudre des cieux !…

Et, sans pouvoir ajouter un mot, je contemplai cette créature avec horreur… Ce mélange de débauche, de cupidité, de barbarie et de confiance stupide, puisque Elwig s’ouvrait à moi, qu’elle voyait pour la première fois, à moi, un ennemi, sur le fratricide, précédé de l’inceste, subi par cette prêtresse d’un culte sanglant, qui partageait le lit de son frère et se donnait à un autre homme… tout cela m’épouvantait, quoique j’eusse entendu, je le répète, souvent parler des abominables mœurs de ces barbares dissolus et féroces.

Elwig ne semblait pas se douter de la cause de mon silence et du dégoût qu’elle m’inspirait ; elle murmurait quelques paroles inintelligibles en comptant les bracelets de cuivre dont ses bras étaient chargés ; après quoi elle me dit d’un air pensif :

– Aurai-je bien neuf beaux bracelets de pierreries pour remplacer ceux-ci ?… Tous tiendront-ils dans un petit sac que je cacherai sous ma robe en revenant à la hutte du roi mon frère pour partager son lit et le tuer pendant son sommeil ?

Cette férocité froide, et pour ainsi dire naïve, redoubla l’aversion que m’inspirait cette créature. Je gardai le silence.

Alors elle s’écria :

– Tu ne me réponds pas au sujet de ces bijoux ? Fais-tu le muet ?

Puis, paraissant frappée d’une idée subite, elle ajouta :

– Et j’ai parlé !… S’il allait tout dire à Néroweg !… Il me tuerait, moi et Riowag… La pensée de ces trésors m’a rendue folle !

Et elle se mit à appeler de nouveau, en se tournant vers la caverne.

Une seconde vieille, non moins hideuse que la première, accourut tenant en main un os de bœuf où pendait un lambeau de chair à demi cuite qu’elle rongeait.

– Accours ici, — lui dit la prêtresse, — et laisse là ton os.