Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 3.djvu/138

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pour arriver plus vite près de toi ; à peine aurons-nous le temps de la remettre à flot… Veux-tu nous faire tuer ici ? Soit… faisons-nous bravement tuer ; mais si tu veux fuir, fuyons…

– C’est ton frère ! c’est la mort qui vient ! — criai-je une dernière fois à Elwig, — que je ne pouvais abandonner sans regret ; car elle m’avait, après tout, sauvé la vie. — Dans un instant il sera trop tard…

Et comme la prêtresse ne me répondait pas, je criai à Douarnek :

– Aide-moi… enlevons-la de force !

Pour arracher Elwig du cadavre de Riowag, qu’elle enlaçait avec une force convulsive, il eût fallu emporter les deux corps : Douarnek et moi, nous y avons renoncé.

Les cavaliers franks s’approchaient si rapidement, que la lueur de leurs torches, faites de brandons résineux, se projetait jusque sur la grève… Il n’était plus temps de sauver Elwig… Notre barque, grâce à nos efforts, fut remise à flot : je saisis le gouvernail, Douarnek et les deux autres soldats ramèrent avec vigueur.

Nous n’étions qu’à une portée de trait du rivage, lorsqu’à la clarté de leurs flambeaux, nous vîmes les cavaliers franks accourir ; et, à leur tête, je reconnus Néroweg, l’Aigle terrible, remarquable par sa stature colossale. Suivi de plusieurs cavaliers qui, comme lui, hurlaient de rage, il poussa jusqu’au poitrail son cheval dans le fleuve ; ses compagnons l’imitèrent, agitant d’une main leurs longues lances, et de l’autre les torches dont les rouges reflets éclairaient au loin les eaux du fleuve et notre barque qui s’éloignait à force de rames.

Assis au gouvernail, je tournai bientôt le dos au rivage, et je dis tristement à Douarnek :

– À cette heure, la misérable créature est égorgée par ces barbares !…

Et notre barque continua de voler sur les eaux.

– Est-ce un homme, une femme, un démon qui nous suit ? — s’écria Douarnek au bout de quelques instants en abandonnant ses