Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 3.djvu/216

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Hier encore, en revenant des champs avec toi, puisque de soldat je suis devenu laboureur comme nos pères, au temps de leur indépendance… hier encore je t’ai montré au bord d’un ruisseau deux saules creux, si vieux… si vieux… (ils ont plus de trois cents ans !) qu’ils ne végètent presque plus… Tu me priais d’attacher une corde de l’un à l’autre de ces deux arbres pour te balancer… Tu m’as vu avec étonnement m’attrister à ta demande, et soudain rester pensif.

Je songeais que, par un rapprochement étrange, notre aïeul Sylvest, dont tu liras l’histoire, et sa sœur Siomara avaient, comme toi, voulu, il y a près de trois siècles, attacher à ces deux saules une corde pour servir à leurs jeux enfantins… Et ces souvenirs, hélas ! n’étaient pas les seuls que ces troncs séculaires éveillaient dans ma pensée ; car je t’ai dit :

— Regarde ces deux arbres avec tristesse et vénération, mon enfant : un de nos aïeux, Guilhern, fils de Joel, le brenn de la tribu de Karnak, est mort dans un supplice atroce, garrotté à l’un de ces saules ; le fils de Guilhern, un adolescent un peu plus âgé que toi, nommé Sylvest (c’est de lui que je te parlais tout à l’heure), fut attaché à l’autre saule pour mourir du même supplice que son père… un hasard inespéré l’a arraché à cette torture.

— Et quel était donc leur crime ? — m’as-tu demandé.

— Le crime du père et de son fils était d’avoir voulu échapper à l’esclavage, afin de ne plus cultiver sous le fouet, le carcan au cou, la chaîne aux pieds, les champs paternels au profit des Romains, qui les en avaient dépouillés par violence ensuite de la bataille de Vannes…

Ma réponse t’a surpris, mon enfant, toi, qui as toujours vécu heureux et libre, toi, qui jusqu’ici n’as connu d’autre douleur que le regret d’avoir perdu ta mère bien-aimée, dont tu n’as conservé qu’un vague souvenir ; car tu étais âgé de quatre ans et deux mois à peine, lorsque peu de temps après la victoire remportée sur les Franks des bords du Rhin…………………………