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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 3.djvu/234

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— Vous demandez justice ? justice est faite !… Moi, Scanvoch, j’ai tué Victorin : il est innocent du meurtre de ma femme. Retirez-vous… laissez la mère des camps entrer dans ma maison pour y pleurer sur le corps de son fils et de son petit-fils…

Victoria me dit alors d’une voix ferme en s’arrêtant au seuil de mon logis :

— Tu as tué mon fils pour venger ton outrage ?

— Oui, — ai-je répondu d’une voix étouffée ; — oui, et dans l’obscurité j’ai aussi frappé ma femme…

— Viens, Scanvoch, viens fermer les paupières d’Ellèn et de Victorin.

Et là elle entra chez moi au milieu du religieux silence des soldats groupés au dehors ; le capitaine Marion et Tétrik la suivirent ; elle leur fit signe de demeurer à la porte de la chambre mortuaire, où elle voulut rester seule avec moi et Sampso.

À la vue de ma femme, étendue morte sur le plancher, je me suis jeté à genoux en sanglotant ; j’ai relevé sa belle tête, alors pâle et froide, j’ai clos ses paupières, puis, enlevant le corps entre mes bras, je l’ai placé sur son lit ; je me suis agenouillé, le front appuyé au chevet, et n’ai plus contenu mes gémissements… Je suis resté longtemps ainsi à pleurer, entendant les sanglots étouffés de Victoria. Enfin sa voix m’a rappelé à moi-même et à ce qu’elle devait aussi souffrir ; je me suis retourné je l’ai vue assise à terre auprès du cadavre de Victorin ; sa tête reposait sur les genoux maternels.

— Scanvoch, — me dit ma sœur de lait en écartant les cheveux qui couvraient le front glacé de Victorin, — mon fils n’est plus… je peux pleurer sur lui, malgré son crime… Le voilà donc mort ! mort… à vingt-deux ans à peine !

— Mort… tué par moi… qui l’aimais comme mon enfant !…

— Frère, tu as vengé ton honneur… je te pardonne et te plains…

— Hélas ! j’ai frappé Victorin dans l’obscurité… je l’ai frappé en proie à un aveugle accès de rage… je l’ai frappé ignorant que ce fût