Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 3.djvu/324

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

évêque voulut chasser ces bonnes petites fées si secourables ; il fit, à la tombée du jour, allumer un grand feu de bruyère sur les rochers ; puis, quand ils furent très-chauds, on balaya la cendre… La nuit venue, les Korrigans ne se doutant de rien, arrivent pour veiller aux prés ; mais aussitôt elles se brûlent leurs petits pieds sur la roche ardente… Alors elles se sont écriées en pleurant : Oh ! méchant monde ! oh ! méchant monde ! … Et depuis, elles ne sont plus jamais revenues, et aussi depuis, le foin a toujours été pourri par la pluie ou desséché par le soleil dans le vallon de l’Hellè… Voilà ce que c’est que de faire du mal aux petites Korrigans… Non, je ne mourrai pas content si je n’en ai rencontré une…

— Mes enfants, mes enfants, ne croyez pas à ces magies, et surtout ne désirez pas en être témoins, cela porte malheur…

— Quoi, mère, parce que je désire voir une Korrigan, il m’arriverait malheur… quel malheur ?

— Hésus le sait, méchant enfant… car vos paroles me serrent le cœur…

— Quelle tempête ! quelle tempête ! la maison en tremble…

— Et c’est par une nuit pareille que Karadeuk ose dire qu’il donnerait sa vie pour voir des Korrigans…

— Allons, chère femme, cette alarme est faiblesse.

— Les mères sont faibles et craintives, Jocelyn… Il ne faut pas tenter Dieu…

Le vieil Araïm cesse un moment de travailler à son filet ; sa tête se baisse sur sa poitrine… il rêve.

— Qu’avez-vous, mon père, que vous voici tout pensif ! Croyez-vous, comme Madalèn, qu’un malheur menace Karadeuk, parce que, par une nuit de tempête, il a voulu voir une Korrigan ?

— Je pense, non point aux fées, mais à cette nuit de tempête, Jocelyn… Je t’ai lu, ainsi qu’à tes enfants, les récits de notre aïeul Joel, qui vivait il y a cinq cents et tant d’années, sinon dans cette maison, du moins dans ces lieux où nous sommes.