Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 3.djvu/73

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animal. Plus tard, l’influence de la terreur augmentant, le maître ne put infliger des châtiments corporels à son esclave, que par l’autorisation d’un magistrat. Enfin, mon enfant, cette horrible loi romaine, qui, du temps de notre aïeul Sylvest et des sept générations qui l’ont suivi, déclarait les esclaves hors de l’humanité, disant dans son féroce langage : Que l’esclave n’existe pas, qu’il n’a pas de tête (non caput habet, selon le langage romain), cette horrible loi, grâce à l’épouvante inspirée pas nos révoltes continuelles, s’était à ce point modifiée, que le code Justinien proclamait ceci :

« La liberté est le droit naturel ; — c’est le droit des gens qui a créé la servitude ; — il a créé aussi l’affranchissement, qui est le retour à la liberté naturelle. »

Hélas ! il est sans doute désolant de ne voir triompher les droits sacrés de l’humanité qu’au milieu de torrents de sang et d’innombrables désastres ! N’est-ce pas l’oppresseur qui courbe son semblable sous le joug d’un affreux esclavage, qui vit des sueurs de ses frères, qui les déprave, qui les avilit, qui les martyrise, qui les tue par caprice ou par cruauté, et les force à reconquérir violemment la liberté qu’on leur a ravie ? Crois-tu, mon enfant, que si la race gauloise asservie s’était montrée aussi patiente, aussi craintive, aussi résignée que notre pauvre aïeul Fergan le tisserand, notre esclavage eût été jamais aboli ? Non, non, lorsqu’on fait de vains appels au cœur et à la raison de l’oppresseur, il ne reste qu’un moyen de briser la tyrannie : La révolte !… la révolte ! énergique, opiniâtre, incessante, et tôt ou tard le bon droit triomphe, comme il a triomphé pour nous ! Que le sang qu’il a coûté retombe sur ceux qui nous avaient asservis !

Ainsi donc, mon enfant, grâce à nos insurrections sans nombre, l’esclavage était remplacé par le colonat, sous le régime duquel ont vécu notre bisaïeul Justin et notre aïeul Aurel ; c’est-à-dire qu’au lieu d’être forcés de cultiver, sous le fouet et au seul profit des Romains, les terres dont ceux-ci nous avaient dépouillés par la conquête,