Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 4.djvu/110

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

s’entretenaient longuement des choses et des hommes du temps passé, de la Gaule, jadis glorieuse et libre ; car ton père, tu l’as dit, conservait, par tradition de famille, un ardent et saint amour pour notre patrie ; il espérait faire battre le cœur de son fils à ces grands souvenirs d’autrefois, l’exaspérer contre les Franks, et l’emmener courir avec lui la Vagrerie ; mais Loysik, alors d’un caractère doux et timide, redoutait cette vie aventureuse… Les années se passèrent… ton frère, s’il eût voulu, aurait pu, comme tant d’autres, faire son chemin dans l’Église ; mais au moment d’être ordonné prêtre il vit de si près l’hypocrisie, la cupidité, la luxure cléricale, qu’il refusa la prêtrise en maudissant la sacrilège alliance du clergé gaulois et des conquérants… Il quitta la maison épiscopale, et alla rejoindre, sur les frontières de la Provence, plusieurs ermites laboureurs ; il avait connu l’un d’eux à Tulle, où il s’était arrêté malade à l’hospice.

— Ces ermites avaient donc fondé une espèce de colonie ?

— Plusieurs d’entre eux s’étaient réunis dans une profonde solitude pour cultiver des terres dévastées et abandonnées depuis la conquête… c’étaient des hommes simples et bons ; fidèles aux souvenirs de la vieille Gaule et aux préceptes de l’Évangile, si odieusement faussés, reniés aujourd’hui par de nouveaux princes des prêtres… Ces moines vivaient dans le célibat, mais ne faisaient point de vœux ; ils restaient laïques et n’avaient aucun caractère clérical (F) ; c’est seulement depuis quelques années que la plupart des moines obtiennent d’entrer dans l’Église ; aussi, devenus prêtres, perdent-ils de jour en jour cette popularité, cette indépendance qui les rendaient si redoutables aux évêques (G)… Du temps dont je te parle, la vie de ces ermites laboureurs était paisible, laborieuse ; ils vivaient en frères, selon les préceptes de Jésus, cultivaient leurs terres en commun, et aussi les défendaient rudement en commun, si quelques bandes de Franks, allant d’un burg à l’autre, s’avisaient de tenter, par malfaisance, de ravager leurs champs…