Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 4.djvu/226

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frénétiques des assistants, qui, plus désintéressés que Neroweg dans le combat, applaudissaient la vaillance de l’ours, et attendaient avec une curieuse anxiété l’issue de la lutte. Le Vagre-ours, désarmé, était aux prises, corps à corps, avec l’autre molosse, qui, au moment où le bâton s’était brisé, avait, de ses crocs formidables, saisi son adversaire à la cuisse, le renversant sous ce choc impétueux. Le sang du compagnon de Karadeuk coulait avec abondance et rougissait le sol et la feuillée dont il était jonché. L’ours et le chien roulèrent deux fois sur eux-mêmes ; alors, pesant de tout le poids de son corps sur son ennemi, qui, comme Deber-Trud, ne démordait pas, le Vagre l’étouffa d’abord à demi, puis l’acheva en lui serrant si violemment la gorge entre ses mains vigoureuses, qu’il l’étrangla. Pendant cette lutte doublement terrible, car non-seulement la morsure du molosse avait traversé la cuisse du Vagre et lui causait une douleur atroce, mais il risquait d’être massacré, ainsi que Karadeuk, s’il se trahissait, l’amant de l’évêchesse, fidèle à son rôle ursin, ne poussa d’autre cri que quelques sourds grognements ; puis, le combat terminé, le digne animal s’accroupit au pied du poteau, entre les cadavres des deux chiens et ramassé sur lui-même, la tête entre ses pattes, il parut lécher sa plaie saignante, tandis que Chram, ses favoris et plusieurs leudes du comte acclamaient à grands cris le triomphe de l’ours.

— Hélas ! hélas ! — murmurait le vieux Karadeuk en se rapprochant de son compagnon, — mon ours est blessé mortellement peut-être… J’ai perdu mon gagne-pain.

— Des épieux ! des haches ! — criait le comte écumant de fureur, — que l’on achève ce féroce animal, qui vient de tuer Mirff et Morff, les deux meilleurs chiens de ma meute… Par l’aigle terrible ! mon aïeul, que cet ours damné soit mis en morceaux à l’instant même… M’entends-tu, Gondulf ? — ajouta-t-il en s’adressant à son veneur en trépignant de rage ; — prends un de ces épieux de chasse accrochés à la muraille… et à mort l’ours, à mort !…