Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 4.djvu/48

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— Mais vivre toujours libres, vieux Simon… libres ! libres ! au lieu de vivre esclaves sous le fouet d’un maître frank ou d’un évêque ! Viens avec nous, Simon…

— Je suis trop vieux !

— Ne hais-tu pas ton seigneur, le saint homme Cautin ?

— Autrefois j’étais jeune, riche, heureux ; les Franks ont envahi la Touraine, mon pays natal ; ils ont égorgé ma femme après l’avoir violée ; ils ont brisé sur les murailles la tête de ma petite fille ; ils ont pillé ma maison ; ils m’ont vendu comme esclave, et de maître en maître, je suis tombé entre les mains de Cautin… J’ai donc sujet d’exécrer les Franks ; mais j’exècre, s’il se peut, davantage encore les évêques gaulois, qui nous tiennent, nous Gaulois, en esclavage !

— Qui va là ? — s’écria Ronan, en voyant au dehors, et dans l’ombre, une forme humaine rampant à deux genoux, et s’approchant ainsi de la porte de la chapelle. — Qui va là ?

— Moi, Félibien, esclave ecclésiastique de notre saint évêque.

— Pauvre homme, pourquoi marcher ainsi à genoux ?

— C’est un vœu… Je viens ainsi de ma hutte à genoux… sur les cailloux du chemin pour prier Loup, le grand Saint-Loup, à qui est dédiée cette chapelle. Je viens ainsi de nuit afin d’être de retour dès l’aube à l’heure du labeur, car ma hutte est loin d’ici…

— Frère, pourquoi t’infliger ce supplice à toi-même ? N’est-ce pas assez déjà de te lever avec le soleil, et le soir de te coucher sur ta paille, brisé de fatigue ?

— Je viens à genoux prier Saint-Loup, le grand Saint-Loup, de demander au Seigneur de longs et fortunés jours pour notre saint évêque Cautin, de qui je suis esclave laboureur.

— Ton maître ! un saint ?… ce fainéant qui t’écrase de travail, comme le meunier sous sa meule écrase le blé nourricier pour en tirer la farine… Quoi ! demander de longs jours pour ton maître, c’est demander d’allonger la lanière du fouet des surveillants qui te rouent de coups si tu bronches.