Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 4.djvu/50

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épreuves que le Seigneur Dieu nous envoie, et il faut les bénir à cœur joie ces épreuves ; plus elles nous sont cruelles, plus elles nous sont méritoires pour notre salut…

— Mais, pauvre frère, ces épreuves d’asservissement, de faim, de froid, de labeur écrasant, de misère affreuse, que, pour ton salut, te prêche ton évêque, à son profit, est-ce qu’il les subit, lui, ces dures peines ? ne vit-il pas, comme nos conquérants, dans la fainéantise, la mollesse et l’abondance ?

— Arrière… tu veux me tenter, Satan ! laisse-moi prier… Je fermerai les yeux, je boucherai mes oreilles. Saint évêque Loup ! grand Saint-Loup ! protégez-moi contre ce païen, qui outrage notre bon évêque Cautin !

— Pauvre créature ! méchamment hébêtée, avilie, dégradée par les prêtres… c’est une tendre pitié que tu m’inspires ! — dit Ronan. — Et voilà pourtant ce que les évêques ont fait de ce fier peuple gaulois ! lui, jadis l’orgueil du monde, il se courbe aujourd’hui, lâche et tremblant, devant une poignée de barbares !…

— Tu dis vrai, Ronan ; presque tous les esclaves sont, comme ce malheureux, tombés dans un lâche hébêtement… le mal gagne de jour en jour… Ah ! c’en est fait de la vieille Gaule… les Franks lui voleront jusqu’à son nom…

— S’il en est ainsi, moi, Ronan ! par la torche de l’incendie ! par l’épée du massacre, par l’ivresse de l’orgie ! je le jure ! je le jure ! tant qu’il restera une femme, une tonne, un château, nous, Gaulois déshérités de tout… jusqu’à notre nom ! nous danserons à travers les flammes, nous boirons sur des ruines, nous ferons l’amour sur la cendre des palais et des églises !…

Et Ronan se mit à chanter le refrain des Vagres :

« Les Franks nous appellent Hommes errants, Loups, Têtes de loups… Vivons en loups, vivons en joie… l’été, sous la verte feuillée ; l’hiver, dans les chaudes cavernes… »

— Allons, Simon, le miracle de l’évêque doit être joué.