Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 5.djvu/115

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cherchais fortune à la guerre, tu avais rassemblé ta bande de gens déterminés, tu venais m’offrir ton épée et leurs services. Le lendemain, dans les plaines de Poitiers, toi et tes hommes, vous vous battiez si rudement contre les Arabes, que tu perdais les trois quarts de ton monde ; tu tuais de ta main Abd-el-Rhaman, le général de ces païens, et tu recevais deux blessures en me dégageant d’un groupe de cavaliers Berbères qui sans toi me tuaient.

— C’était mon devoir de soldat de défendre mon chef.

— Et à moi, mon devoir de chef était de récompenser ton courage de soldat. Jamais je ne l’oublierai, ta vaillance m’a sauvé la vie : mes fils ne l’oublieront pas non plus, ils liront dans quelques notes que j’ai fait écrire sur mes guerres : Lors de la bataille de Poitiers, Karl a dû la vie à Berthoald ; que mes fils s’en souviennent en voyant la cicatrice que porte au front ce courageux guerrier.

— Karl, tes louanges m’embarrassent.

— Il me plaît de te louer ; je t’aime sincèrement ; depuis la bataille de Poitiers je t’ai regardé comme l’un de mes meilleurs compagnons d’armes, quoique tu sois parfois têtu comme un mulet et bizarre dans tes goûts.

— Comment cela ?

— Oui, s’il s’agissait de guerroyer au nord ou à l’est contre les Frisons ou les Saxons, au midi contre les Arabes, il n’était pas de plus enragé tapeur que toi ; mais lorsqu’il a fallu deux ou trois fois comprimer quelques révoltes de gens de race gauloise, tu bataillais mollement, presque à contre-cœur…

— Karl, les goûts varient, — reprit Berthoald en souriant d’un air forcé qui trahissait une pensée amère. — Il en est souvent du goût des batailleurs comme de celui des femmes : les uns aiment les blondes, les autres les brunes ; ils sont de feu pour celles-ci, de glace pour celles-là… Ainsi je préfère à toutes la guerre contre les Saxons et les Arabes.

— Moi, je ne connais point ces délicatesses ; aussi vrai que l’on