Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 5.djvu/131

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rent la voix de la jeune fille ; elle ne put qu’ajouter en joignant les mains : — Grâce ! grâce ! pour mon père, pour ma mère !

— Voilà que tu pleures encore à suffoquer, — dit Karl, touché, malgré sa rudesse, de tant de jeunesse, de douleur et de beauté. — Si l’on veut aussi châtier ton père et ta mère, je le défends.

— Seigneur… on veut me vendre et me séparer d’eux…

— Qu’est-ce à dire, moine ? — demanda Karl à l’abbé, tandis que Berthoald, sentant à chaque instant s’augmenter son trouble, son admiration et sa pitié, ne pouvait détacher ses regards de Septimine.

— Seigneur, voici le fait, — reprit le père Clément : — j’ai ordonné qu’après avoir été châtiés, ces trois esclaves, le père, la mère et la fille, seraient vendus et emmenés hors de ce couvent ; un de ces marchands d’esclaves qui courent le pays est venu justement ce matin me proposer deux charpentiers dont nous avons besoin ; je lui ai offert en troc cette jeune fille, ainsi que son père et sa mère ; mais Mardochée a refusé l’échange.

— Mardochée ! — s’écria involontairement Berthoald, dont les traits, soudain pâlissants, exprimèrent autant de crainte que d’anxiété, — ce juif ici !…

— Que diable as-tu ? — dit Karl au jeune homme, — te voilà blanc comme ton manteau.

Berthoald tâcha de vaincre l’émotion qui le trahissait, baissa les yeux, et répondit d’une voix altérée : — L’horreur que m’inspirent ces juifs maudits est si grande… que je ne peux les voir, ou seulement entendre prononcer leur nom sans frissonner malgré moi. — En disant ces mots, Berthoald prit vivement son casque, qu’il avait déposé sur la table, et le remit sur sa tête, l’enfonçant le plus possible, afin que la visière cachât, du moins, le haut de son visage.

— Je comprends ton horreur des juifs, — reprit Karl ; — les araignées me causent le même dégoût ; pourtant je ne suis point une femmelette… Mais continue, moine !

— Mardochée consent à s’accommoder de la Coliberte, dont il a le