Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 5.djvu/172

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était peinte sur parchemin, à la façon des miniatures dont on ornait alors les livres saints. Berthoald aperçut ces deux portraits au moment où il allait s’asseoir aux côtés de l’abbesse. À cette vue, il tressaillit, resta un moment frappé de surprise ; puis reportant tour à tour ses yeux de Gonthramm Neroweg sur Méroflède, il semblait comparer la ressemblance qui existait entre eux, ressemblance évidente en cela que, comme Neroweg, Méroflède avait la chevelure rousse, le nez en bec d’aigle, et les yeux verts. Le jeune chef ne put cacher son étonnement. L’abbesse lui dit : — Qu’as-tu à contempler ainsi le portrait de l’un de mes aïeux, mort il y a plusieurs siècles ?

— Ainsi… tu es de la race des Neroweg ?

— Oui, et ma famille habite encore ses grands domaines de l’Auvergne, conquis par l’épée de mes ancêtres, ou octroyés par dons royaux… Mais assez parlé du passé, gloire aux morts, joie aux vivants ! Sieds-toi là, et soupons… Je te semble une étrange abbesse ? mais, par Dieu ! je vis comme les abbés et les évêques, sinon qu’ils soupent avec de jolies jouvencelles, et que moi je soupe ce soir avec un brave et beau soldat… T’en plaindrais-tu ? — Et soulevant d’un poignet viril une des lourdes amphores d’argent, elle remplit jusqu’au bord la coupe d’or placée près d’Amael ; puis après y avoir seulement mouillé ses lèvres rouges et charnues, elle la tendit au jeune chef et lui dit résolûment : — Buvons à ta bienvenue dans ce couvent !

Berthoald garda un moment la coupe entre ses mains, et tout en jetant un dernier regard sur le portrait de Neroweg, il sourit d’un air sardonique, réfléchit un instant, attacha sur l’abbesse un regard non moins hardi que ceux qu’elle lui jetait, et reprit : — Buvons, belle abbesse ! — Et d’un trait, vidant la large coupe, il ajouta : — Buvons à l’amour !…

— Soit, buvons à l’amour, le dieu du monde ! comme disaient les païens ! — répondit Méroflède en remplissant sa coupe d’un vin contenu dans une petite amphore de vermeil. Versant alors de nouveau