Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 5.djvu/219

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mon ambition arrivait enfin. Un jour, sous prétexte de la fourbir, j’emportai et cachai pièce à pièce la plus belle armure de Bodégesil ; je dérobai aussi une épée, une hache, une lance et un bouclier. La nuit venue, j’allai chercher dans les écuries le plus beau et le plus vigoureux des chevaux du duk. Je revêtis l’armure et m’éloignai rapidement du château. Je voulais me rendre auprès de Karl, décidé à cacher mon origine et à me dire fils d’un seigneur de race germanique, afin d’intéresser à mon sort le chef des Franks. Environ à cinq ou six lieues du château, je fus attaqué au point du jour par plusieurs de ces bandits qui infestaient la Gaule. Je me défendis vigoureusement ; je tuai deux de ces larrons et dis aux autres : — « Karl a besoin d’hommes vaillants ; il leur abandonne une large part du butin. Venez avec moi. Mieux vaut batailler à l’armée que d’attaquer les voyageurs sur les routes ; il y a péril égal, mais plus grand profit. » — Ces bandits suivirent mon conseil et m’accompagnèrent ; notre petite troupe se grossit en route d’autres gens sans aveu, mais déterminés. La veille de la bataille de Poitiers, nous arrivâmes au camp de Karl ; je me donnai à lui comme fils d’un noble frank, mort pauvre, et ne m’ayant laissé pour héritage que son cheval et ses armes. Karl m’accueillit avec sa rudesse habituelle : — « On se bat demain, — me dit-il, — si je suis content de toi et de tes hommes, vous serez contents de moi. » — Le hasard voulut que, dans cette bataille contre les Arabes, je sauvai la vie du chef des Franks en l’aidant à se défendre contre plusieurs cavaliers berbères qui l’attaquaient avec furie, je reçus plusieurs blessures, entre autres, celle-ci… au front. À dater de ce jour, je conquis l’affection de Karl ; de la faveur dont il m’a donné tant de preuves depuis cinq ans, je ne vous parlerai pas, ma mère ; cette haute fortune était empoisonnée par cette pensée, presque toujours présente à mon esprit : — « J’ai menti ! j’ai lâchement renié ma race par une ambition coupable, je me suis allié aux oppresseurs de la Gaule asservie ; je leur ai prêté l’appui de mon épée pour repousser ces Saxons et