Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 5.djvu/220

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ces Arabes, ni plus ni moins barbares que les Franks, nos conquérants maudits, eux que j’aide dans l’affermissement de leur conquête, sur notre malheureuse patrie, qu’ils désolent autant par leurs guerres civiles que les Saxons et les Arabes par leurs invasions. » Ce n’est pas tout, ma mère ; plusieurs fois, dans ces combats incessants des seigneurs d’Austrasie contre les seigneurs de Neustrie ou d’Aquitaine, guerres impies où les comtes, les duks, les évêques entraînaient leurs colons gaulois comme soldats, j’ai combattu les hommes de ma race… j’ai rougi mon épée de leur sang.

— Honte et douleur sur moi ! — murmura Rosen-Aër en cachant sa figure entre ses mains, — je suis la mère d’un tel fils !

— Oui, honte et douleur… non sur vous, mais sur moi, ma mère, car je cédais à l’entraînement d’une première faute : je combattais les hommes de ma race, de crainte de paraître lâche aux yeux de Karl, de crainte de démentir mon passé. L’orgueil m’enivrait, lorsque je me voyais honoré par les plus fiers de nos conquérants… moi, fils de ce peuple conquis, asservi ! Mais ces moments de vertige passés, j’enviais parfois les plus misérables esclaves ; ceux-là, du moins, avaient droit au respect qu’inspire le malheur immérité. En vain j’ai cherché la mort dans les batailles : j’étais condamné à vivre… je trouvais seulement dans l’ivresse du combat, dans les entreprises périlleuses, une sorte d’étourdissement passager. Ah ! que de fois j’ai songé avec amertume à la vallée de Charolles, où vivait ma famille ! ! ! Puis, lorsque j’ai appris le ravage de cette contrée par les Arabes, la résistance désespérée de ses habitants… eux, mes parents, mes amis ! Lorsque j’ai songé que mon épée, offerte au chef des Franks par une coupable ambition, aurait pu vous défendre ou vous venger, ma mère, vous, dont j’ignorais le sort et qui deviez, comme mon père, avoir, dans cette invasion, trouvé la mort ou l’esclavage !… Oh ! de ce jour, le remords a flétri ma vie !

— Votre père a combattu jusqu’à son dernier soupir pour la liberté, pour celle des siens. Je l’ai vu tomber à mes pieds, mort et