Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 5.djvu/241

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— Certes, — répondit gravement Octave en contenant difficilement son envie de rire causée par la naïveté du jeune Breton, — certes, et plus que pas un de ses comtes, de ses duks, de ses savants ou de ses évêques, l’empereur Karl se montre glouton des friandises dont je te parle… il en a toujours une chambre remplie à côté de la sienne… parce que la nuit…

— Il se relève pour en manger, peut-être ? — s’écria dédaigneusement le jouvenceau, pendant qu’Octave riait aux éclats. — Je ne trouve rien, moi, de plus honteux qu’une pareille goinfrerie chez un homme qui gouverne des hommes !

— Que veux-tu, Vortigern ! Il faut pardonner quelques travers aux grands princes, et puis, vois-tu, c’est un défaut qui tient de famille… car les filles de l’empereur…

— Ses filles aussi donnent dans cette laide goinfrerie ?

— Hélas ! non moins gloutonnes que leur père, elles sont là six ou sept friandes… des plus affriolantes et des plus affriandées.

— Ah ! fi ! — s’écria Vortigern ; — fi ! elles ont peut-être aussi près de leur chambre à coucher des chambres à friandises ?

— Calme ta légitime indignation, mon bouillant ami ; des jeunes filles ne se peuvent permettre une commodité pareille, c’est bon pour l’empereur Karl, qui n’est plus ingambe ; car il se fait vieux, il boite du pied gauche et son ventre est énorme.

— Je le crois : un pareil glouton !

— Tu comprendras donc qu’étant si peu alerte, ce puissant empereur ne puisse, comme ses filles, voleter à une friande picorée, ni plus ni moins qu’oiselets en plein verger, qui s’en vont becquetant amoureusement, ici, une cerise vermeille, là, une pomme empourprée, ailleurs, une grappe de raisin doré. Non, non, avec son auguste bedaine et son pied boiteux, l’auguste Karl serait incapable de courir ainsi à la picorée, les soins de son empire y perdraient trop. L’empereur a donc sous sa main, à sa portée, une chambre à friandises, où…