Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 5.djvu/300

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prêtres ni toi, vous n’êtes chrétiens, puisque un chrétien selon le Christ ne doit jamais retenir son prochain en servitude.

— La coutume le veut ainsi.

— La coutume ? Et qui vous empêche, les évêques et toi, tout-puissant empereur, d’abolir cette abominable coutume ? Qui vous empêche d’affranchir les esclaves ? Qui vous empêche de leur rendre, avec la liberté, la possession de ces terres qu’eux seuls fécondent de leurs sueurs, et qui appartenaient à leurs pères, libres jadis ?

— Vieillard, de tous temps il y a eu et il y aura des esclaves… À quoi bon être de race conquérante, sinon pour garder pour soi et pour les siens les fruits de la conquête ? Par le roi des cieux ! me prends-tu pour un barbare ? N’ai-je pas promulgué des lois, fondé des écoles, encouragé les lettres, les arts, les sciences ? Est-il au monde une cité comparable à ma ville d’Aix-la-Chapelle ?

— Ta somptueuse capitale d’Aix-la-Chapelle, capitale de ton empire germanique, n’est pas la Gaule. La Gaule est restée, pour toi, une contrée étrangère ; tu estimes beaucoup ses forêts propices à tes chasses d’automne, et ses riches domaines, dont on voiture chaque année les revenus à tes résidences d’outre-Rhin ; mais la Gaule, épuisée d’hommes et d’argent par tes guerres incessantes, est tellement misérable, qu’en aucun temps, le blé, le vin, les bestiaux n’ont été plus rares et coûté plus cher. Une épouvantable misère désole nos provinces ; pour quelques milliers de seigneurs, d’évêques ou d’abbés, qui vivent dans la débauche et la fainéantise, des millions de créatures de Dieu, presque sans pain, sans abri, sans vêtements, travaillent de l’aube au soir, et meurent dans l’esclavage pour entretenir l’opulence de leurs maîtres ; pour quelques enfants, à qui tu fais donner l’instruction dans ton école Palatine, des millions de créatures de Dieu naissent, vivent et meurent comme des brutes, hébétées, avilies, trompées par tes prêtres, qui, gorgés de richesses, insatiables de pouvoir, prêchent aux multitudes la divinité de la misère et la sainteté de l’esclavage… Telle est la Gaule sous ton