Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 5.djvu/301

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règne, Karl le Grand, empereur… De ces maux affreux, es-tu seul responsable ? Non… Je suis juste : ces maux sont, hélas ! la conséquence forcée de l’oppression. La conquête, source de ta puissance, est une horrible iniquité, elle ne peut engendrer que d’horribles iniquités.

— Vieillard, — reprit l’empereur d’un air sombre et contenant à peine son courroux, — après t’avoir traité en ami durant cette journée, je m’attendais, de ta part, à un autre langage.

— Je t’ai parlé sincèrement, je parlais toujours ainsi à ton aïeul.

— En mémoire de mon aïeul, en reconnaissance du service que tu lui as rendu à la bataille de Poitiers, je voulais être généreux envers toi.

— Je suis ici ton prisonnier sur parole ; je ne demande aucune grâce.

— Il ne s’agit pas de grâce ; je désirais accomplir une chose bonne pour moi, pour ton peuple et pour toi. Oui, j’espérais après cette journée passée dans mon intimité, te voir revenir de tes préventions, et alors te dire : — J’ai vaincu les Bretons par la force de mes armes, je veux affermir ma conquête par la persuasion. Retourne en ton pays, raconte à tes compatriotes la journée que tu as passée avec Karl, ce conquérant, ce tyran ; ils auront foi à tes paroles, car ils ont en toi, je le sais, une confiance absolue. Tu as été l’âme des deux dernières guerres qu’ils ont soutenues contre moi, sois l’âme de la pacification que je désire. Une conquête basée sur la force est souvent éphémère ; une conquête affermie par l’affection, par l’estime, devient impérissable. Je crois t’avoir prouvé que l’on peut estimer, affectionner Karl ; je me fie à ta loyauté pour me gagner le cœur des Bretons. — Oui, tel était mon espoir. Cet espoir, l’amère injustice de tes paroles le détruit, n’y pensons plus. Tu resteras ici en otage ; je te traiterai comme je dois traiter un vaillant soldat qui a sauvé la vie de mon aïeul ; peut-être, à la longue, me jugeras-tu plus équitablement ; ce jour-là venu, tu pourras retourner en ton pays, et,