Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 5.djvu/302

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j’en suis certain, tu diras à mon sujet ce que tu croiras le bien, de même que tu leur dirais aujourd’hui ce que tu crois le mal.

— Karl, quoique ta pensée ne puisse en aucun cas atteindre ton but, cette pensée est généreuse, je t’en sais gré.

— Par la chappe de saint Martin ! vous êtes un étrange peuple, vous autres Bretons ! Quoi ! si tu avais créance que je mérite estime et affection, tes compatriotes, s’ils partageaient ton opinion, n’accepteraient pas avec joie mon empire qu’ils subissent aujourd’hui par la force ?

— Il ne s’agit pas pour nous d’avoir un maître plus ou moins méritant : nous ne voulons pas de maître.

— Ah ! vous n’en voulez pas ! je suis pourtant maître chez vous, païens !

— Jusqu’au jour où nous nous révolterons de nouveau contre toi.

— Vous serez écrasés, exterminés, j’en jure Dieu.

— Soit, fais exterminer jusqu’au dernier Gaulois de Bretagne, fais égorger tous les enfants, alors tu pourras régner en paix sur l’Armorique déserte et dépeuplée ; mais tant qu’un homme de notre race vivra dans ce pays, tu pourras le vaincre, jamais le soumettre.

— Vieillard, ma domination est-elle donc si terrible ?

— Nous ne voulons pas de domination étrangère. Vivre selon la loi de nos pères, élire librement nos chefs, en hommes libres, ne payer de tribut à personne, nous renfermer dans nos frontières et les défendre, tel est notre vœu. Accepte-le, tu n’auras rien à redouter de nous.

— Des conditions, à moi ! à moi, qui règne en maître sur l’Europe ! Une misérable population de bergers, de bûcherons et de laboureurs m’imposer des conditions, à moi, dont les armes ont conquis le monde !

— Je pourrais te répondre que pour vaincre ce misérable peuple de bergers, de bûcherons et de laboureurs, retranchés au milieu de leurs montagnes, de leurs rochers, de leurs marais et de leurs