Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 5.djvu/304

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— Par le roi des cieux ! la raillerie est trop forte ! Me prends-tu pour un sot ? Ne sais-je pas que si, retirant mes troupes, je vous accorde une trêve, vous en profiterez pour vous préparer à recommencer la guerre après ma mort ?

— Oui, si tes fils ne respectent pas nos libertés.

— Moi, vainqueur, consentir à une trêve honteuse ! consentir à retirer mes troupes d’un pays que j’ai dompté avec tant de peine !

— Laisse donc ton armée en Bretagne ; mais attends-toi dans un an ou deux, peut être avant, à de nouvelles insurrections.

— Vieillard insensé ! oses-tu bien tenir un tel langage, lorsque toi, ton petit-fils et quatre autres chefs Bretons vous êtes mes otages ! Oh ! j’en jure Dieu ! votre tête tomberait à la première prise d’armes, entends-tu ? Ne te fie pas trop, crois-moi, à la bonhomie du vieux Karl ; je n’aime pas le sang ; mais le terrible exemple que j’ai fait des quatre mille Saxons révoltés te prouve que je ne recule devant aucune nécessité.

— Les chefs Bretons, restés en route par suite de leurs blessures, mais qui bientôt nous rejoindront à Aix-la-Chapelle, n’auraient pas accepté, non plus que moi et mon petit-fils, le poste d’otage, s’il eût été sans péril ; mais crois-moi, Karl, quel que soit le sort qui nous attende, nous ne faillirons pas à notre devoir : nous sommes ici au cœur de ton empire et à même de juger l’opportunité des choses ; donc nous donnerons, s’il le faut, d’ici même, le signal d’une nouvelle guerre lorsque le moment nous semblera venu.

— Par le roi des cieux ! est-ce assez d’audace ? — s’écria l’empereur, pâle de fureur ; — oser me dire que ces traîtres, d’après ce qu’ils verront ou épieront ici, enverront en Bretagne l’ordre de la révolte ! Oh ! j’en jure Dieu, dès demain, dès ce soir, toi et ton petit-fils vous serez plongés dans de si noirs cachots qu’il vous faudra des yeux de lynx pour voir ce qui se passe ici. Par la chappe de saint Martin ! tant d’insolence me rendrait féroce. Pas un mot de plus, vieillard ! Heureusement, nous voici arrivés au pavillon ; je vais retrouver mes