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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 5.djvu/311

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encore rassuré par la précaution qu’avait eue Vortigern de se coucher en travers du seuil de la cabane, cédant, sans doute, ainsi à une pensée de respectueuse sollicitude et de vaillante protection. Thétralde, cependant, s’éveilla la première. La clarté de la torche frappa les paupières closes de la jeune fille ; elle souleva d’abord à demi sa tête, encore appesantie, porta la main à ses yeux, les ouvrit bientôt tout grands, se dressa sur son séant ; puis, à la vue de son père, elle poussa un cri de joie si sincère, ses traits enchanteurs exprimèrent un bonheur si pur de tout embarras, de toute honte, en se jetant d’un bond au cou de Karl, qu’il la pressa contre son cœur avec ivresse en murmurant : — Ah ! je ne crains plus rien… son front n’a pas rougi !

Ces mots arrivèrent aux oreilles d’Amael, jusqu’alors debout et immobile derrière l’empereur, qui courut bientôt un assez grand danger : car Thétralde, courant à son père dans le premier élan de sa joie, avait heurté Vortigern en passant par-dessus son corps ; le jeune Breton, réveillé en sursaut, ébloui par la lumière et l’esprit encore troublé par le sommeil, saisit son épée, se releva d’un bond ; et voyant à l’entrée de la hutte deux hommes, dont l’un tenait Thétralde enlacée dans ses bras, il crut à un rapt, saisit d’une main Karl à la gorge, et, le menaçant de son épée nue, s’écria : — Tu es mort si… — mais, reconnaissant aussitôt le père de Thétralde, Vortigern laissa tomber son épée, se frotta les yeux, et dit en reculant d’un pas : — L’empereur des Franks !…

— Lui-même, mon garçon ! — répondit joyeusement Karl en baisant de nouveau avec une sorte de frénésie le front et les cheveux de sa fille. — Tu avais défendu l’entrée de la hutte en te couchant en travers du seuil… Aussi, la vigueur de ton poignet me prouve qu’il eût été mal venu celui qui aurait eu quelque méchante intention contre mon enfant !

— Nous sommes tes ennemis, et cependant tu nous as accueillis avec bonté, mon aïeul et moi, — répondit simplement le jeune Breton,