Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 5.djvu/328

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tait leur costume rustique : de larges braies de grosse toile blanche et une chemise de lin qui laissait entrevoir sa large poitrine et son cou hâlés, car, par cette rude et chaude journée de moisson, il avait quitté sa casaque ; ses longs cheveux, châtains comme sa barbe touffue, encadraient son mâle visage, au large front, aux regards intrépides et perçants. Chez Vortigern, la mâle gravité de l’homme, de l’époux et du père, avait succédé à la fleur de l’adolescence. Ses traits exprimèrent une douce joie à la vue de ses deux enfants, qui accoururent à lui. Il les embrassa tendrement, cherchant des yeux sa femme et sa sœur, qui, accompagnées de Caswallan, ne tardèrent pas à s’approcher.

— Chère femme, la moisson sera bonne et abondante, — dit Morvan à Noblède. — Et il ajouta en se tournant vers les chariots chargés de gerbes : — As-tu jamais vu plus beaux épis, paille plus dorée ?

— Morvan, — reprit Josseline, — vous moissonnez de bonne heure cette année… nous autres, du côté de Karnak, nous laisserons encore nos blés mûrir sur pied pendant quinze ou vingt jours, n’est-ce pas, Vortigern ?

— Non, ma douce Josseline, répondit-il, — j’imiterai Morvan ; dès demain, nous retournerons chez nous, afin de commencer au plus vite notre moisson.

— Je vais, de plus, beaucoup vous surprendre, Josseline, — reprit Morvan ; — car, au lieu de laisser, selon notre vieille et bonne coutume, les gerbes engrangées pour mûrir le grain… ce blé, moissonné aujourd’hui, sera battu cette nuit ; Vortigern et moi, nous ne serons pas les derniers à jouer du fléau sur l’aire de la grange… Ainsi donc, Noblède, donne-nous vite à souper.

— Quoi, Morvan ! — reprit Josseline, — vous et Vortigern, après cette rude journée de moisson, vous allez encore passer la nuit au travail ?

— Joyeuse nuit, ma Josseline, — reprit Vortigern, — car, pen-