Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 5.djvu/354

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vue de Neroweg ; il s’y engage ; c’est à peine si le jour peut pénétrer cette voûte de verdure, formée par les cimes touffues des grands arbres. Des fourrés de houx de sept à huit pieds d’élévation bordent le chemin, leurs feuilles épineuses rendent ces retraites impénétrables. Les soldats, ne pouvant s’écarter ni à droite ni à gauche, sont forcés de suivre ce défilé de verdure, encore frappés du souvenir de leurs désastres récents, ils s’avancent avec défiance à travers la sombre forêt de Cardik, se parlant à voix basse, et de temps à autre interrogeant d’un regard inquiet la cime touffue des arbres ou les taillis des bords de la route. Cependant rien n’a jusqu’alors justifié la crainte des cohortes ; le bruit sourd et cadencé de leur marche, le cliquetis de leurs armures, troublent seuls le silence de la forêt. Ce silence même redouble le vague effroi des Franks ; ils étaient d’abord silencieux aussi les défilés de Glen-Clan et le marais de Peulven ! Déjà plus de la moitié de l’armée est engagée dans ces grands bois lorsqu’à l’un des détours de la route, Neroweg, qui marchait en tête, accompagné du moine, s’arrête tout à coup… Aussi loin que sa vue peut s’étendre, devant lui, à gauche, à droite, il voit un immense abattis d’arbres ; des chênes, des ormes de cent pieds de hauteur et quinze ou vingt pieds de tour, tombés sous la cognée des bûcherons, couvraient le sol, tellement enchevêtrés dans leur chute, que leurs branches énormes, leurs troncs gigantesques, formaient une barrière infranchissable à la cavalerie ; les gens de pieds seuls auraient pu, après des peines inouïes, escalader ces obstacles et s’y frayer un passage à coups de hache. — Ah ! quelle guerre ! — s’écria de nouveau Neroweg en fermant les poings. — Après le défilé, le marais ! après le marais, la forêt ! À peine me restera-t-il le tiers de mes troupes lorsque je rejoindrai les autres chefs… Oh ! Gaulois indomptables ! Bretons endiablés ! que les flammes de l’enfer vous soient ardentes !

— Ils y brûleront, les idolâtres ! jusqu’au jour du dernier jugement, car ils méprisent la foi catholique ! — s’écria le moine. —