Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 5.djvu/355

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Courage, Neroweg ! courage ! ce dernier obstacle surmonté, nous arriverons aux landes de Kennor. Là nous rallierons les deux corps de l’armée de Louis-le-Pieux, et nous pénétrerons dans la vallée de Lokfern, où nous exterminerons, jusqu’au dernier, ces maudits Armoricains.

— Est-ce le courage qui me manque, moine insensé ? — s’écria Neroweg furieux. — M’as-tu vu manquer de vaillance ? Toi qui nous conduis, tu nous as déjà fait tomber deux fois dans des embuscades. Par le grand saint Martin ! tu serais d’accord avec l’ennemi que tu ne nous aurais pas autrement guidés !

— Ces périls, ne les ai-je pas bravés avec toi ? — répondit dédaigneusement le prêtre en montrant son bras gauche soutenu par une écharpe ensanglantée. — Cette blessure reçue hier dans le marais de Peulven, ne te répond-elle pas de ma bonne foi ? Quant à ces abattis d’arbres, quoiqu’ils nous paraissent s’étendre à perte de vue, ils sont peut-être plus bornés que nous ne le pensons.

— Qu’importe ! comment trouver une autre route que celle-ci ? la seule, as-tu dit, qui traverse cette forêt, partout ailleurs impraticable à une armée. — Le moine, hochant la tête d’un air pensif, ne répondit rien. Les troupes commençaient de murmurer, en proie au découragement et à une terreur croissante, lorsque trois cris d’oiseaux nocturnes dominèrent le tumulte. Aussitôt, de derrière les abattis d’arbres, et du faîte de ceux qui bordaient la route, les frondeurs et les archers bretons, embusqués, assaillirent les Franks d’une nuée de pierres et de flèches ; d’énormes branches sciées au sommet des chênes s’en détachaient, et tombant, écrasaient ou mutilaient les soldats : nouvelle panique, nouveau carnage des Franks ; cavaliers renversés de leurs montures, piétons broyés sous les pieds des chevaux, soldats aveuglés, déchirés en se précipitant effarés au milieu des fourrés de houx hérissés de pointes. Quel doux spectacle pour les yeux d’un Gaulois de l’Armorique ! Gémissements des mourants, imprécations des blessés, menaces de mort contre le moine accusé de