Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 5.djvu/356

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trahison… Quel doux concert à l’oreille d’un Gaulois de l’Armorique ! Le carnage allait croissant au milieu de cette panique, lorsque Vortigern, tenant son arc d’une main et s’attachant de l’autre à l’une des branches qui dominaient le point le plus élevé de l’abattis d’arbres, parut aux yeux des Franks ; sa voix sonore fit entendre ces paroles : — Et maintenant, maudits, traversez, si vous le pouvez, cette forêt ; nos carquois sont vides ; nous allons vous attendre aux abords de la vallée de Lokfern ! — Puis avisant le chef des Franks, qui, descendu de cheval, opposait aux pierres et aux traits des assaillants son grand bouclier blanc, où se voyaient peintes trois serres d’aigles dorées, Vortigern, reconnaissant à cet emblème un fils des Neroweg, poussa une exclamation de surprise et de haine, ajusta sur la corde de son arc sa dernière flèche, et la lançant au chef des guerriers, s’écria : — Moi, descendant de Joel, je t’envoie ceci à toi, descendant de Neroweg, tué par mon aïeul Karadeuk-le-Bagaude. — La flèche siffla, et effleurant la bordure inférieure du bouclier du Frank, lui traversa le genou au-dessous du cuissard. À cette vive douleur, Neroweg, tombant agenouillé, s’écria, désignant le Gaulois à plusieurs arbalétriers saxons : — Tirez ! tirez sur ce bandit !

Trois flèches saxonnes volèrent, deux d’entre elles s’enfoncèrent en vibrant dans la branche d’arbre à laquelle se tenait Vortigern ; mais le troisième trait l’atteignit au bras gauche. Le descendant de Joel, arrachant aussitôt de sa plaie le fer acéré, le rejeta sanglant contre les Franks avec un geste de méprisant défi, et disparut derrière les branchages. Par trois fois, le cri de l’oiseau nocturne se fit entendre dans la forêt, et les Bretons se dispersèrent par des sentiers connus d’eux seuls, chantant ce vieux bardit de guerre, qui se perdit peu à peu dans l’éloignement : « — Ce matin, nous disions : Combien sont-ils, ces Franks ? — Combien sont-ils ces barbares ? — Ce soir, nous disons : — Combien étaient-ils ces Franks ? — Combien donc étaient-ils ces barbares ? »