Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 6.djvu/196

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baillif ; — tu as pourtant mangé du pain depuis trois semaines ?

— Maître Garin...

— Tu as eu l’audace de faire cuire ton pain chez toi sous la cendre ?... avoue-le, scélérat !

— Hélas ! bon maître Garin, notre village a été mis à feu et à sac par les gens du sire de Castel-Redon ; le peu de hardes que nous possédions ont été pillées ou brûlées, nos bestiaux tués ou enlevés, nos moissons saccagées pendant la guerre !

— Je te parle de four et non de guerre ! double larron ! Tu dois trois deniers de droits de cuisson ; tu vas payer en outre trois deniers d’amende !

— Six deniers ! misère de moi ! six deniers ! et où voulez-vous que je les prenne ?

— Tu le sais mieux que moi ! Je connais vos ruses, fourbes que vous êtes ! Vous avez toujours quelque cachette où vous enfouissez vos deniers !... Veux-tu payer, oui ou non ?

— Secourable baillif, nous n’avons pas une obole... les gens du sire de Castel-Redon ne nous ont laissé que les yeux pour pleurer nos désastres !

Garin, haussant les épaules, fit un signe à l’un des hommes de sa suite ; celui-ci-prit à sa ceinture un trousseau de cordes et s’approcha de Pierre-le-Boiteux. Le serf tendit ses mains à l’homme d’armes, lui disant : — Liez-moi, emmenez-moi prisonnier si cela vous plaît ; je ne possède pas un denier.

— C’est ce dont nous allons nous assurer, — reprit le baillif ; et pendant que l’un de ses hommes garrottait Pierre-le-Boiteux, sans qu’il opposât la moindre résistance, un autre d’entre eux prit dans une pochette de cuir suspendue à sa ceinture de l’amadou, un briquet et une mèche soufrée qu’il alluma ; Garin-Mange-Vilain s’adressant alors à Pierre, qui, à la vue de ces préparatifs, commençait de pâlir : — On va te mettre cette mèche allumée entre les deux pouces ; si tu as une cachette où tu enfouisses tes deniers, la douleur te fera parler !