Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 6.djvu/236

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Neroweg VI, après un moment d’irrésolution farouche, remit son poignard au fourreau, craignant, dans sa crédulité, de hâter sa mort en tuant la sorcière ; puis il s’écria : — Oh ! maudit soit le jour où je t’ai enlevée sur la route d’Angers, tu te rendais sans doute en cette cité pour te livrer à ce mécréant de Wilhem IX ; tu as apporté la malédiction sur ce château. Mais il faut que cela cesse, entends-tu ? Oh ! de gré ou de force tu détruiras le maléfice que tu as jeté sur moi et sur les miens ; car, comme moi, mes fils deviennent chaque jour de plus en plus taciturnes et sombres.

— Heureusement, ces brutes sauvages, las de rapines et de meurtres, n’osant sortir de leurs repaires, ne comprennent pas que c’est l’ennui qui les ronge ; mais bientôt ils ne s’ennuieront plus, et je pourrai courir à toi, ô Wilhem ! toi, le souci de mes jours et le rêve de mes nuits, — se dit Azenor-la-Pâle. Et elle reprit tout haut : — Le philtre que je prépare mettra fin à tout cela quand vous l’aurez bu, toi et tes deux fils.

— Tu en boiras la première.

— Tu crains le poison ?

— Je le crains beaucoup.

— Tu oublies que nos deux existences sont liées l’une à l’autre ; ta mort causerait la mienne, et la mienne la tienne.

— Je te crois assez scélérate pour risquer ta vie afin de nous faire périr moi et mes fils. — Ce sinistre entretien fut interrompu par deux coups extérieurement frappés à la porte ; Neroweg dit brusquement : — Qui est là ? — Seigneur comte, — répondit une voix, — on vous attend pour commencer le Plaid, dans la salle de la table de pierre. — Neroweg VI fit un geste de farouche impatience, et coiffant son casque de fer qu’il avait, en entrant, déposé sur un meuble, il reprit : — Jadis, ces hommages de mes vassaux, à moi leur suzerain, réjouissaient mon orgueil ; aujourd’hui, tout me pèse ! tout me pèse !

— Mais demain, grâce à mon philtre, rien ne te pèsera plus, ni à toi... ni aux tiens, — répondit Azenor-la-Pâle. Et elle ajouta en