Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 6.djvu/254

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croyant toucher au jour du dernier jugement ; mais avoue aussi, Yéronimo, qu’une fois ces terreurs passées, les seigneurs ou leurs descendants ont violemment repris au clergé ces riches donations ; la haine dont me poursuit le comte n’a pas d’autre cause ; son aïeul avait octroyé au père de l’évêque, dont j’ai épousé la fille aînée, plusieurs domaines des Neroweg, entre autres les terres de l’ancienne abbaye de Meriadek ; ce scélérat, véritable pire-qu’un-loup, m’a fait guerre sur guerre pour reprendre ces donations, et maintes fois il a poussé ses ravages jusqu’aux murs de ma cité de Nantes !

— Il en a été ainsi dans toutes les contrées ; une des causes incessantes des guerres privées des seigneurs contre les évêques et les abbés a été, depuis cinquante ans, la revendication des biens donnés à l’Église lors de l’appréhension de la fin du monde. Dans ces luttes impies, les seigneurs ont presque toujours eu le dessus ; aussi te le disais-je : de nos jours, pour vingt évêques ou abbés souverains il y a cent seigneurs.

— C’est une triste réalité.

— Il faut que cela cesse ; pour reconquérir sa toute-puissance, l’Église doit redevenir plus riche que les seigneurs, elle doit surtout se débarrasser à jamais de ces brigands qui, comme Neroweg VI ou cet audacieux libertin Wilhem IX, duc d’Aquitaine, et tant d’autres, osent porter une main sacrilége sur les richesses et les prêtres du Seigneur. Donc, l’Église doit se débarrasser de ses ennemis !

— Hélas ! Yéronimo, du désir au fait il y a loin.

— Il y a la longueur du trajet d’ici à Jérusalem... voilà tout.

L’évêque de Nantes regarda le moine d’un air ébahi, répétant, sans en comprendre le sens, ces mots : — Le voyage d’ici à Jérusalem !

— Écoute encore, — poursuivit Yéronimo ; — légat du pape Urbain II, qui m’envoie secrètement en Gaule, personne mieux que moi ne connaît la politique de Rome. Le pape français Gerbert, et surtout après lui le redoutable Grégoire VII, ont longtemps nourri