Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 6.djvu/277

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— Oui... facilement.

— Lorsque notre têtu a résisté à l’épreuve du carcan, on le met nu et on vous l’accroche à ce crochet de fer, soit par la chair du dos, soit par la peau du ventre, soit par des parties que...

— De grâce, ne parle pas si haut ! — dit le marchand en contenant à peine son indignation et son épouvante, — ma fille pourrait t’entendre !

— C’est juste, — reprit le baillif avec un sourire sardonique, — il faut de la pudeur... Eh bien ! Bezenecq-le-Riche, figure-toi que j’ai vu des têtus rester ainsi suspendus à ce croc par la chair, durant une heure, saignant comme bétail en boucherie, et refuser encore la donation de leurs biens ; mais ils ne résistaient pas à la troisième épreuve, dont je vais t’entretenir, Bezenecq-le-Riche.

— C’est étrange, — dit soudain le marchand en interrompant Garin-Mange-Vilain, — on sent la fumée ici ?

— Mon père, du feu ! — s’écria de loin Isoline avec épouvante, — on allume du feu... sous les barres de fer !

Le bourgeois de Nantes se retourna brusquement, et vit les combustibles amassés sous le gril commencer de s’embraser ; quelques jets de flamme éclairant de leurs reflets rougeâtres les noires murailles du cachot, se faisaient jour à travers une fumée épaisse ; un effroyable soupçon traversa l’esprit du marchand, mais sa pensée n’osa pas même s’y arrêter ; puis, voulant calmer les alarmes de sa fille, il lui dit : — Ne crains donc rien, peureuse ! on fait ce feu pour chasser l’humidité de ce cachot ; il nous faudra peut-être y passer la nuit, je remerciais le digne baillif de sa prévoyance. — Mais, après cette réponse faite seulement pour rassurer sa fille, le marchand, pâlissant malgré lui, dit à Garin : — En vérité, à quoi bon allumer du feu sous ce gril ?

— Afin de te donner une idée de la toute-puissance de cette dernière épreuve, Bezenecq-le-Riche !

— C’est, je vous l’assure, inutile... Je vous crois de reste...