Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 7.djvu/130

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leurs cloches ; le cortége, avant d’arriver sur la place où s’élevait l’hôtel communal, passa devant la demeure du chevalier de Haut-Pourcin, grande maison forte flanquée de deux grosses tours reliées entre elles par une sorte de terrasse crénelée formant saillie au-dessus de la porte ; sur cette espèce de balcon, se trouvaient réunis grand nombre de chevaliers, de prêtres et de nobles dames élégamment parées, les unes jeunes et jolies, les autres vieilles ou laides ; parmi les moins vieilles et les plus laides se distinguait surtout la dame de Haut-Pourcin, grande femme de cinquante ans environ, sèche, osseuse, à la mine arrogante, et portant un surcot violet à boutons d’or enrichi d’une pèlerine en plumage de paon ; sur ses cheveux grisonnants elle avait amoureusement placé un chapel de muguet fleuri, ainsi que se serait coiffée une bergerette ; la blancheur de ces fleurettes faisait paraître plus jaune encore le teint bilieux de la dame de Haut-Pourcin, teint moins jaune cependant que ses longues dents. À la vue du cortége, en tête duquel marchaient le maire et les échevins, elle s’adressa aux personnes de sa compagnie et s’écria d’une voix aigre et perçante, qui fut entendue des communiers, car la terrasse n’était élevée que de douze ou quinze pieds : — Mesdames et messeigneurs, avez-vous jamais vu bande de baudets se rendre à leur moulin d’un air plus triomphant ?

— Ah ! ah ! — reprit très-haut l’un des chevaliers riant aux éclats en désignant du bout de sa houssine le maire Jean Molrain, — voyez surtout le maître baudet qui guide les autres ? comme il se prélasse sous sa housse fourrée.

— Il est dommage que son chaperon nous dérobe la vue de ses longues oreilles.

— Sang du Christ ! n’est-il pas honteux de voir ces manants de race gauloise faits esclaves par nos ancêtres, oser porter le casque et l’épée comme nous autres nobles hommes ? — ajouta le seigneur de Haut-Pourcin. — Quoi ! nous, descendants des conquérants, nous, chevaliers ! nous souffrons cette vilainie ?