Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 7.djvu/135

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

orientale, coiffé d’un turban rouge ; cet esclave africain, d’une physionomie sardonique et farouche, se nommait Jean (depuis son baptême) ; il avait été donné en présent, plusieurs années auparavant, à l’évêque Gaudry par un seigneur croisé, de retour de la Terre-Sainte (D). Peu à peu Jean-le-Noir devint le favori du prélat, l’entremetteur de ses débauches ou l’instrument de ses cruautés avant l’établissement de la Commune ; car, depuis cet établissement, la personne et les biens des Communiers étant désormais garantis, si l’un d’eux éprouvait quelque dommage : la commune obtenait ou faisait elle-même justice de l’agresseur ; aussi l’évêque et les nobles avaient-ils dû renoncer à leurs habitudes de violence et de rapines. Au moment où l’archidiacre aperçut Jean-le-Noir, celui-ci descendait d’un escalier aboutissant à une porte pratiquée sous une voûte fermée d’une grille, qui séparait les deux premières cours d’un préau réservé à l’évêque ; une femme, enveloppée d’une mante à capuchon complétement rabattu, accompagnait l’esclave ; Anselme ne put retenir un mouvement d’indignation ; connaissant les êtres du palais, et sachant que l’escalier donnant sous la voûte conduisait à l’appartement de l’évêque, il ne pouvait douter que cette femme encapuchonnée, sortant de chez le prélat à une heure si matinale, sous la conduite de Jean-le-Noir, l’entremetteur habituel de Gaudry, n’eût passé la nuit chez lui ; aussi l’archidiacre, rougissant d’une chaste confusion, tourna-t-il la tête avec dégoût au moment où, après avoir ouvert la grille, l’esclave et sa compagne passèrent à ses côtés ; puis, pénétrant sous la voûte, il entra dans le préau ; ce vaste enclos gazonné, planté d’arbres, s’étendait devant la façade des appartements particuliers de l’évêque Gaudry. Cet homme, d’origine normande, et descendant des pirates du vieux Rolf, après avoir bataillé à la suite du duk Guillaume-le-Bâtard lorsqu’il alla conquérir l’Angleterre, fut plus tard (en 1106) promu à l’évêché de Laon. Cruel et débauché, cupide et prodigue, Gaudry était de plus un chasseur forcené ; encore agile et vigoureux, quoiqu’il eût dépassé la maturité de l’âge, il essayait ce matin-là un