Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 7.djvu/155

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à Reims, les hommes courront aux armes, et les femmes les accompagneront pour panser les blessés !

— Par le sang du Christ ! ma gentille amazone, — dit en riant le prélat, — si je te fais prisonnière, tu me payeras les arrérages du droit que tu sais !

— Seigneur évêque, — dit l’échevin, — de pareilles paroles sont mauvaises dans la bouche d’un prêtre, surtout lorsqu’il s’agit d’ensanglanter la cité. Nous redoutons la guerre, dis-tu ? oui, certes, nous la redoutons, car ses maux sont irréparables, et je la crains, moi, autant et plus que personne, la guerre ; car on y meurt, et je tiens beaucoup à vivre pour ma femme, que j’aime, et pour jouir en paix de notre modeste aisance, fruit de notre travail quotidien.

— Mais tu te battrais comme un autre ! — s’écria Simonne presque irritée de la sincérité de son mari — Oh ! oh ! je te connais, moi, oui, tu te battrais plus courageusement qu’un autre !

— Plus courageusement qu’un autre, c’est trop dire, — reprit naïvement le talmelier ; — je ne me suis jamais battu de ma vie, mais je ferais, je crois, mon devoir, quoique je sois moins habitué à manier l’épée que le fourgon de mon four.

— Avoue-le, bonhomme, — dit l’évêque en riant aux éclats, — tu préfères le feu de ton four à la chaleur de la bataille, hein ? mon César ?

— C’est ma foi vrai, seigneur évêque ; nous tous, bonnes gens, bourgeois et artisans que nous sommes, nous préférons le bien au mal, la paix à la guerre ; mais, crois-moi, il est quelque chose que nous préférons par-dessus tout : c’est l’honneur de nos femmes, de nos filles, de nos sœurs ; c’est la jouissance tranquille de ce que nous avons acquis à force de labeur ; c’est notre dignité ; c’est notre indépendance ; c’est le droit de faire, par nous-mêmes et pour nous-mêmes, les affaires de notre cité. Tous ces avantages, nous les devons à notre affranchissement des droits seigneuriaux ; aussi, vois-tu, si bonnes gens, si peu guerroyeurs que nous soyons, nous nous ferions