Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 7.djvu/196

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

siècles au terme de ce laborieux et sanglant voyage… Et alors se lèvera dans toute sa splendeur le jour radieux de l’affranchissement de la Gaule entière !

— Oh ! mon père, — dit Colombaïk avec accablement, — malheur ! malheur ! si la prédiction de Victoria ne doit s’accomplir, selon sa vision prophétique, qu’à travers des monceaux de ruines et des torrents de sang !

— Crois-tu que la liberté s’acquière sans combats ? Tiens, vois, nous sommes vainqueurs, notre cause est sainte comme la justice, sacrée comme le bon droit, et pourtant, regarde autour de toi, — répondit le carrier en montrant à son fils le lugubre spectacle que présentait la place du Change, encombrée de morts et de mourants, éclairée par la lueur des torches et les dernières lueurs de l’incendie de la cathédrale, — regarde ! que de sang ! que de ruines !

— Oh ! pourquoi cette terrible fatalité ? — reprit Colombaïk avec un accent presque désespéré ; — pourquoi la conquête de droits si légitimes coûte-t-elle tant de maux ?

— Pourquoi ? Parce que, depuis six siècles et plus, reniant la pensée libératrice de Jésus, ce grand sage, l’Église catholique, complice des oppresseurs, a glacé les peuples sous son souffle mortel ; car, enfin, voyons ? combien est-il en Gaule de serfs, d’artisans, de vilains, de bourgeois ?… combien est-il de seigneurs et de prêtres ?

— Que sais-je ? Nous sommes peut-être dix ou douze millions, et les prêtres et les descendants des Franks conquérants sont peut-être cinquante mille au plus.

— Donc, cinquante mille prêtres ou seigneurs, grands et petits, dominent, exploitent et traitent en peuple conquis… dix à douze millions d’hommes ? mais ces hommes, qui les empêche de se révolter ? d’écraser en un jour, en une heure, ces quelques milliers d’impitoyables maîtres qui les écrasent ? Si aveugles, si hébêtées que soient les multitudes, ne peuvent-elles pas se dire, ainsi que les serfs de Bretagne et de Normandie disaient il y a deux siècles : « — Nous avons