Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 7.djvu/198

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Oui, trois jours après avoir écrit cette chronique inachevée, mon père est mort sur les remparts de la cité de Laon, qu’il défendait avec les communiers contre la troupe de Louis-le-Gros. Hélas ! ce qu’il y avait de douloureux dans les prévisions de mon père s’est réalisé ! Ses espérances d’affranchissement se réaliseront-elles aussi ?

Tels sont les faits qui se sont passés :

Le soir de ce jour où notre commune avait triomphé de l’évêque et des Épiscopaux, mon père et moi, ensuite de notre entretien sur la place du Change, entretien qu’il a rapporté dans le récit précédent, dernières lignes tracées par sa main vénérée, nous sommes rentrés dans notre maison, où nous avons trouvé ma mère et Martine, rassurées sur notre sort par nos bons voisins Ancel-Quatre-Mains-le-Talmelier et sa femme Simonne. Cette nuit-là mon père, retournant au poste qu’il occupait dans l’une des tours servant de défense à la porte de la cité, s’était muni d’un parchemin pour raconter à notre descendance l’insurrection de la commune de Laon. Hélas ! il semblait pressentir que ses jours étaient comptés. Ce récit, il l’a continué çà et là lorsqu’il trouvait quelques moments de loisir au milieu des temps d’agitation et de perplexité qui ont suivi notre victoire. Le lendemain le maire, les échevins et plusieurs habitants notables de la ville se rassemblèrent, afin d’aviser aux dangers de la situation : l’on s’attendait à une attaque de Louis-le-Gros ; l’issue de cette attaque n’était pas douteuse ; seuls à combattre le roi des Français, nous serions écrasés ; aussi l’on songea à une alliance contre lui. L’un des plus puissants seigneurs de Picardie, Thomas, seigneur du château de Marle, connu par sa bravoure et sa férocité, qui égalait celle de Neroweg VI, était l’ennemi personnel de Louis-le-Gros ; il s’était ligué en 1108 avec Guy, seigneur de Rochefort, et plusieurs autres chevaliers, pour empêcher le roi d’être sacré à Reims. Malgré la scélératesse de Thomas de Marle, et contre l’avis de mon père, la commune, pressée par l’imminence du péril, offrit à ce seigneur, qui possédait un grand nombre d’hommes d’armes, de s’allier avec elle