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L’AUTEUR


AUX ABONNÉS DES MYSTÈRES DU PEUPLE


Chers lecteurs,


J’ai tâché dans le suivant récit de faire ressortir à vos yeux deux des traits les plus caractéristiques de la physionomie historique du treizième siècle : 1° — L’incroyable dissolution des mœurs de la noblesse et du clergé ; 2° — leur fanatisme féroce. — Oui, ces chevaliers qui, à la voix de l’Église, renouvelaient en Gaule les boucheries, les horreurs des premières croisades, donnaient au monde le spectacle d’une incroyable dépravation, non pas cachée, mais ouvertement, mais audacieusement affichée, célébrée, glorifiée par ces Cours d’amour où les nobles dames, les chanoinesses, les seigneurs et les prélats, traitaient gravement, discutaient magistralement et en public des sujets, si obscènes, que, malgré notre désir de rester dans la réalité, nous avons dû, par respect pour vous, chers lecteurs, atténuer, autant que possible, la crudité de ton de pareils tableaux, indispensables cependant à l’appréciation morale de l’histoire de ce temps-là ; nous disons morale, parce qu’il est utile de connaître les mœurs de ces fervents catholiques dont le fanatisme religieux fit couler le sang à torrents, alluma d’innombrables bûchers, exerça d’affreux ravages dans le Languedoc, cette province la plus florissante, la plus éclairée, la plus commerçante et la plus libre de la Gaule au treizième siècle ; nous l’avons dit, cette dépravation de mœurs était audacieusement affichée ; quant aux preuves historiques, irrécusables de ce que nous avançons, les voici : Tandis que le serf craintif, hébété, misérable, engraissait de sa sueur, de son sang, les domaines des seigneurs féodaux, tandis que la bourgeoisie simple et honnête dans ses mœurs, laborieuse, patiente, tour à tour victorieuse ou vaincue, mais ne reculant pas d’une semelle dans ses luttes contre l’Église, les seigneurs ou la royauté, fondait, constituait par son industrie, comme les serfs par leurs travaux agricoles, la richesse du pays, la noblesse et le clergé vivant dans les fêtes, la fainéantise, la mollesse et la débauche charmaient leurs loisirs par les chants des Trouvères et des Jongleurs, poëtes errants qui s’en allaient chantant de châteaux en châteaux, d’abbayes en abbayes ; or, pour la plupart ces Contes, ces Fabliaux, ces Lais, ces Jeux-parties, ainsi qu’on appelait ces poésies, étaient d’une telle obscénité que nous ne pouvons même citer ici complètement le titre de la plupart de ces œuvres si goûtées par l’aristocratie et par l’Église du bon vieux temps ; si vous avez la curiosité de vérifier le fait, chers lecteurs, demandez dans une bibliothèque publique les : Fabliaux et Contes des poëtes français des XI, XII, XIII, XIV et XVe siècles, tirés des meilleurs auteurs, publiés par Barbazan (édition de M. Méon, 4 v. in-8o ; Paris, B. Warée).

Parcourez la table des volumes et vous comprendrez que nous ne pouvons vous donner qu’une indication sommaire des pièces suivantes :

Le fabliau de… p. 95 ; une Femme pour cent Hommes (61) ; du… au Vilain, (67) ; de Charlot le Juif, (87) ; le Cuvier… (91 ) ; les Braies du Cordelier, (169) ; le Chevalier qui faisait parler les… et… (409) ; de l’Anel qui faisait… (437) ; du Vilain à la... (640) ; de Celle qui se… (466) ; le Jugement des… (460), etc., etc…

Les titres des pièces du même recueil nous montreront quel rôle jouait le clergé dans les chants licencieux et populaires :

Le Boucher d’Abbeville, v. 4,1. — Du Prestre qu’on porte ou la Longue Nuit, (120) ; du Vilain qui conquit le paradis par plaid, (114) ; du Sacristain et de la Femme au Chevalier, (119) ; du Prestre et de la Dame, (181) ; du Prétre et d’Alison, (427), etc., etc.

Si, enfin, la lecture de ces crudités vous répugnait et que l’interprétation du français du treizième siècle ne vous fût pas familière, demandez l’excellent ouvrage du savant Legrand d’Aussy, intitulé : Fabliaux, Contes, Fables et Romans des XII et XIII° siècles (troisième édition ; Paris, Jules Renouard). Cette édition, pour ainsi dire, expurgée de ce qu’il y a de par trop licencieux, a été traduite en français contemporain. Après cette lecture vous vous convaincrez, chers lecteurs, que la donnée du suivant récit intitulé : la Cour d’amour est très-au-dessous de la réalité des mœurs du XIIIe siècle.

L’un des ouvrages qui prouve encore à quel point de dépravation et de cupidité sordide en était venu le clergé à cette époque, est un recueil de poésies, publiées par M. Edelestan-Dumeril, l’un de nos antiquaires les plus consciencieux, et de qui l’impartialité égale la science ; ce livre renferme des chants et des satires en latin (la langue aristocratique de ce temps-là), antérieurs au XIVe siècle ; nous en avons traduit plusieurs, les voici :

Des diverses classes d’hommes

(Chant septième)

« Il en est de même des prêtres réguliers, — d’abord fidèles à la vertu — ils abandonnent la règle par l’instinct du démon — et retournent à cette vie criminelle. — Il en est de même de leurs supérieurs, des chefs et des prieurs ; — ils s’inquiètent peu des actes de leurs subordonnés, — qu’ils soient