Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 7.djvu/223

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taché de graisse et de vin, habit non moins dépenaillé que ses chausses de tiretaine jonquille ; ses brodequins éculés ont pour cothurnes des ficelles ; son énorme bedaine, soulevée par des ronflements sonores, a fait craquer les boutons de corne de son surcot ; son nez bourgeonné, informe, rugueux, montueux, a pris, comme son crâne pelé, la couleur vineuse du jus de la treille, dont ce dormeur a coutume de s’abreuver à flots. Près de lui, sur le gazon, est le chapel de feuilles de vigne dont il couvre le peu de cheveux gris qui lui restent ; non loin du bonhomme est sa Rotte, vielle sonore qu’il sait faire chanter sous ses doigts agiles, car maître Peau-d’Oie (c’est son nom) est habile jongleur, ses chants bachiques ou licencieux sont sans pareils pour mettre en belle humeur les moines, les truands et les ribaudes. Si profond est le sommeil de ce dormeur, qu’il n’entend pas s’approcher de lui un nouveau personnage sortant de la dernière maison du faubourg ; ce personnage est Mylio-le-Trouvère. Mylio a vingt-cinq ans ; de sa figure, à quoi bon parler ? son portrait, ressemblant ou non, a été tracé par Marphise et ses compagnes ; la stature du trouvère est robuste et élevée ; sur ses cheveux noirs bouclés, il porte, à demi rabattu, un camail écarlate, dont la pèlerine couvre ses larges épaules ; sa tunique blanche de fin drap de Frise, fermée sur sa poitrine par une rangée de boutons d’or, est brodée de soie écarlate au collet et aux manches ; de ces doubles manches, les unes, flottantes et tailladées, sont ouvertes un peu au-dessous de l’épaule ; les autres, justes, sont serrées aux poignets par des boutons d’or. À son ceinturon brodé pendent, d’un côté une courte épée, de l’autre une aumônière ; Mylio est depuis peu descendu de cheval, car au lieu d’être, selon la mode du temps, chaussé de souliers à longue pointe recourbée en forme de corne de bélier, il porte par-dessus ses chausses de grandes bottes de cuir jaune bordé de rouge qui lui montent jusqu’au milieu des cuisses. Tandis que Peau-d’Oie, toujours profondément endormi, ronfle avec sérénité, Mylio s’arrête à quelques pas du vieux jongleur et dit, soucieux et pensif :