Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 7.djvu/226

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Peau-d’oie se relève courroucé, ramasse son chapel de feuilles de vigne, le pose brusquement sur sa tête ; puis, prenant à côté de lui sa vielle, il en menace le trouvère en s’écriant : — Ah ! traître ! double larron ! quelle bombance tu m’as volée !

Mylio. — Je t’ai volé, moi ? dom Bedaine !

Peau-d’oie. — Me réveiller au plus beau moment de mon rêve ! et quel rêve ! J’assistais au combat de Carême contre Mardi-Gras ! Carême, armé de pied en cape, s’avançait monté sur un saumon ; il avait pour casque une huître énorme, un fromage pour bouclier, une raie pour cuirasse, des oursins de mer pour éperons, et pour fronde une anguille tenant en guise de pierre un œuf farci entre ses dents !

Mylio. — Telle est la gloutonnerie de ce messire goinfre ! qu’en dormant il rêve de mangeaille !

Peau-d’oie. — Malheureux ! m’arracher de la bouche des mets qui ne me coûtaient rien !… car, hélas ! si Carême était savoureusement armé, Mardi-Gras ne l’était pas moins : casqué d’un pâté de venaison dont un succulent paon rôti formait le cimier, Mardi-Gras, tout bardé de jambon, enfourchait un cerf dont les bois ramus étaient chargés de perdrix, et tenait pour lance une longue broche garnie de chapons rôtis ! (S’adressant au trouvère avec un redoublement de fureur grotesque.) Truand ! homme sans foi ni loi ! tu m’as éveillé au moment où Carême succombant sous les coups de Mardi-Gras, j’allais manger vainqueur et vaincu ! armes et armures ! tout ! manger tout… jusqu’aux montures des combattants ! Ah ! de ma vie je ne te pardonnerai ta scélératesse…

Mylio. — Calme-toi, je remplacerai ton rêve… par la réalité.

Peau-d’oie. — Corbœuf ! la belle avance ! manger les yeux ouverts qu’y a-t-il là d’étonnant ? tandis que sans toi, traître, je mangeais en dormant !

Mylio. — Mais si je te donne de quoi baffrer durant tout un jour et toute une nuit ? qu’auras-tu à me reprocher ?