Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 7.djvu/247

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je le reconnais, beaucoup plus divertissant que celui des pauvres sœurs grises, habituées aux sots propos ou aux joyeusetés grossières des moines mendiants et des frères convers ; vous êtes, en un mot, plus éblouissantes, plus pimpantes que les humbles bernardines ; mais cependant, avouez-le, est-ce que la mule paisible et rebondie du curé ne fournit pas une aussi longue course que la fringante haquenée du chevalier ? Sans doute encore, par son plumage d’or et d’azur, le faisan séduit nos yeux ; néanmoins c’est de sa chair délicate, blanche et grasse dont on est friand ; et la perdrix, sous sa modeste plume grise, n’est-elle pas aussi savoureuse que le brillant oiseau de Phénicie ? Non, non, je ne saurais défendre à aucun des sujets de mon empire de préférer celle-ci à celle-là ; je veux que les choix soient libres, variés, nombreux. Quant à vos amis, nobles chanoinesses, de vous seules il dépend de les conserver : soyez comme les bernardines : douces, complaisantes, empressées, vous n’aurez jamais à redouter d’infidélités.

Ce jugement, digne de Salomon, est généralement accueilli avec faveur. Toutefois, cédant à un esprit de confrérie fort excusable, Déliane-la-Chanoinesse sort de ses habitudes langoureuses, et semble énergiquement protester auprès des autres membres du tribunal contre un arrêt qu’elle regarde comme défavorable à l’ordre des chanoinesses. Non moins courroucée que Déliane, et oubliant le respect religieux dont on doit entourer les arrêts de la cour souveraine, Aigline, au moment où elle sort du prétoire, sous la conduite du Sénéchal des marjolaines, pince jusqu’au sang la bernardine, en lui disant d’une voix courroucée : — Ah ! servante ! tu m’as fait débouter… justes dieux !… moi !… déboutée !… — À ces paroles et à ce pincement, la petite sœur grise ne répond qu’en jetant vers le ciel un regard angélique comme pour faire hommage de son martyre au tout-puissant. Le léger tumulte, causé par l’incartade de la chanoinesse, apaisé, Marphise reprend la parole et dit : — La cause est entendue et jugée ; maintenant notre Baillif de la joie des joies va nous sou-