Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 7.djvu/261

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Cîteaux, monte sur le siége occupé naguère par Marphise, reine de la cour d’amour, commande le silence, et, nouveau Coucou-Piètre, se dispose à prêcher une autre croisade. Il ne s’agit plus d’aller, au nom de la foi, exterminer en Terre-Sainte les Sarrasins, mais de courir sus aux hérétiques du midi de la Gaule. Le silence se fait, et l’abbé Reynier, ce luxurieux sycophante qui, la veille encore, s’introduisait dans le clos de Chaillotte pour abuser de Florette, s’exprime ainsi, non pas avec le farouche emportement de Pierre-l’Ermite, mais d’une voix brève, froide et tranchante comme le fer d’une hache :

— J’ai accompagné les seigneurs croisés qui, dans leur empressement de revoir plus tôt leurs chastes épouses, se rendaient en ce lieu, où se trouvent aussi réunis les plus illustres chevaliers de la Touraine. Nobles hommes, nobles dames qui m’écoutez, je dois vous déclarer ceci : Le temps des jeux frivoles est passé, l’ennemi est à nos portes ; le Languedoc est le foyer d’une exécrable hérésie ; elle envahit peu à peu les Gaules et menace trois choses saintes, archi-saintes : l’Église, la Royauté, la Noblesse ; oui, les plus ensabbattés de ces mécréants, pires que les Sarrasins, arguant du primitif Évangile, nient l’autorité de l’Église, les privilèges des seigneurs, affirment l’égalité des hommes, regardent comme larronnée toute richesse non acquise ou perpétuée par le travail ; et déclarent, en un mot : « que le serf est l’égal de son seigneur, et que celui-là qui n’a point travaillé ne doit point manger !… »

Plusieurs nobles voix. — C’est infâme !… c’est insensé !

L’abbé Reynier. — C’est insensé, c’est infâme, et de plus fort dangereux. Les sectaires de cette monstrueuse hérésie font de nombreux prosélytes ; leurs chefs, d’autant plus pernicieux qu’ils affectent de mettre en pratique les réformes qu’ils prêchent, acquièrent ainsi, sur le populaire, une détestable influence. Leurs pasteurs, qui ont remplacé nos saints prêtres catholiques, se font appeler Parfaits ; et, dans leur scélératesse infernale, ils s’évertuent, en effet, à rendre leur vie exemplaire et parfaite !