Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 7.djvu/265

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Mylio et son compagnon, heureusement oubliés depuis l’arrivée des onze croisés revenus de la Terre-Sainte, ont profité du prêche de l’abbé Reynier pour gagner un escalier conduisant aux rives du canal ; puis là, cachés sous l’arche du pont, ils ont entendu les paroles du moine de Cîteaux et les acclamations de l’auditoire. Aussi surpris qu’alarmé de cette guerre, car son frère, Karvel-le-Brenn, est l’un des pasteurs ou Parfaits des hérétiques du Languedoc, le trouvère se hâte de quitter le jardin sans être aperçu, en suivant le bord du canal ; puis il arrive dans un endroit écarté, voisin des remparts de Blois.

Peau-d’oie a suivi son ami, qui, durant ce trajet précipité, est resté silencieux et profondément absorbé ; il s’arrête enfin, et le vieux jongleur essoufflé lui dit : — Parce que tu as des jambes de cerf, tu n’as pas la moindre charité pour un honnête homme empêché dans sa marche par une bedaine dont le ciel l’a affligé !… Ah ! Mylio ! quelle journée !… elle m’a altéré jusqu’à la rage. Si l’eau ne m’était point une sorte de poison mortel, j’aurais, je crois, tari la rivière du jardin. Voici la nuit, si nous allions un peu reprendre nos esprits dans le cabaret de ma mie Gueulette ?… hein ?… Mylio ?… tu ne m’entends donc pas ? (Il lui frappe sur l’épaule.) Hé ! mon brave trouvère… est-ce que tu rêves à la lune ?

Mylio sort de sa rêverie et tend la main au jongleur. — Adieu !

Peau-d’oie. — Comment, adieu !

Mylio. — Nous ne nous verrons plus… je pars !

Peau-d’oie. — Tu pars ! tu abandonnes un ami… aussi altéré que je le suis !

Mylio fouille à son escarcelle. — Je partagerai ma bourse avec toi ; je n’ai pas oublié les services qu’aujourd’hui encore tu m’as rendus.

Peau-d’oie empoche l’argent que le trouvère vient de lui donner. — Quoi ! tu délaisses ainsi ton vieux compagnon ?… je me promettais tant de joie de courir le pays avec toi !