Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 7.djvu/287

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enfin il m’a donné des preuves d’affection que de ma vie je n’oublierai. Ceci dit, mon vieux Peau-d’Oie, mes amis et moi, nous t’en supplions, n’aie plus sans cesse le mot de vertu à la bouche, et, au lieu de baisser les yeux, de te gourmer, de te pincer les lèvres d’un air confit, laisse s’épanouir à son aise ta bonne grosse mine réjouie, et même, si cela te plaît, chante à plein gosier ta chanson favorite :

Robin m’aime, Robin m’a…

Karvel, à Peau-d’Oie qui soupire avec allégement, et dont la figure semble peu à peu se dilater. — Mon frère est l’interprète de notre pensée ; allons, cher hôte, pas de contrainte, revenez à votre gaieté naturelle. Nous l’aimons beaucoup, nous autres, la gaieté, savez-vous pourquoi ? Parce que jamais cœur faux ou méchant n’est franchement joyeux. Nous pensons enfin qu’il faut beaucoup pardonner à ceux qui sont restés bons, parce qu’ils deviendront meilleurs encore ; vous êtes de ceux-là, notre hôte. Donc, soyez le bienvenu ! nous vous aimerons comme vous êtes, aimez-nous comme nous sommes.

Peau-d’oie, tout à fait à son aise. — Ah ! dame Vertu !…

Mylio. — Comment ! encore ?

Peau-d’oie. — … Ah ! dame Vertu, vous vous embéguinez d’une sale coiffe ; et l’œil louche, la bouche écumante, le cou tors, vous pourchassez les gens, leur disant de votre voix de chouette amoureuse, en les menaçant de vos doigts griffus : « — Ça, viens vite à moi me chérir, gros pendard ! sac à vin ! porc de goinfrerie ! bouc de luxure ! lièvre de couardise !… çà, viens vite m’adorer, me servir, me becquotter, sinon, je t’étrangle, truand ! chien vert ! âne rouge ! triple mulet !… » Et vous vous étonnez, mignonne, que l’on prenne sa bedaine à deux mains, afin de mieux trotter pour échapper à votre gracieux appel ?

Morise, à Karvel, en souriant. — Il a raison !

Peau-d’oie. — Ah ! dame revêche ! dame piaillarde ! dame griffue ! prenez donc un peu le doux air, la douce voix, le doux cœur, le