Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 7.djvu/349

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voisine, incendiée la veille par les soldats de la foi. Grâce à mes soins, Florette reprit ses sens, mais, hélas ! jamais elle ne devait revoir la lumière ! Confiant ma femme à Peau-d’Oie, je me rendis chez un ami de mon frère ; cet ami, nommé Julien-le-Libraire, avait reçu de Karvel, en dépôt, le coffret renfermant nos reliques de famille ; échappé, par hasard, aux massacres de Lavaur, Julien m’accorda un refuge pour Florette, Peau-d’Oie et moi ; en sûreté dans cette maison hospitalière, nous y attendîmes le départ de l’armée de Montfort, qui ne tarda pas à se mettre en marche vers Toulouse, après avoir investi de la seigneurie de Lavaur, Hugues de Lascy, jadis sénéchal des marjolaines à la cour d’amour de Blois. Résolu de consacrer ma vie à Florette, je renonçai à continuer la guerre, et nous quittâmes le Languedoc, bientôt soumis à Montfort par la terreur. Julien-le-Libraire, grâce à l’entremise des voyageurs lombards, correspondait souvent, pour les achats de son commerce, avec un des plus célèbres libraires de Paris, nommé Jean Belot ; connaissant la beauté de mon écriture, Julien me proposa de me recommander à son confrère qui pourrait m’employer à la copie des livres, anciens ou modernes. J’acceptai cette offre. Lorsque Florette fut en état d’entreprendre ce long voyage, nous partîmes avec Peau-d’Oie. Il me restait une petite somme d’argent, j’en employai une partie à acheter une mule pour ma femme qui souvent, par bonté, cédait sa place à notre vieil ami, et la pauvre petite aveugle, s’appuyant alors sur mon bras, je guidais ses pas incertains ; nous arrivâmes ainsi à Paris, après des traverses sans nombre. Jean Belot, profondément touché du malheur de Florette, chère et innocente victime de la férocité catholique, nous accueillit cordialement et je devins bientôt l’un de ses meilleurs copistes ; je pus ainsi, grâce à mon salaire, entourer Florette d’un peu d’aisance et mettre à l’abri du besoin la vieillesse de Peau-d’Oie. Celui-ci allait encore parfois à la taverne, chantant ses joyeux Tensons pour payer son écot ; mais lorsque ma femme, neuf mois après avoir quitté le Languedoc, m’eut