Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 7.djvu/49

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maîtresse, le Christ a dit, ce me semble : Aimez-vous les uns les autres, et voilà que toi, prêtre de ce Christ, tu nous dis : Mangez-vous en grillade les uns les autres ?

— Double païen, — répondit Antonelli, — oses-tu bien mêler le nom du Sauveur à tes impudicités !

— Quoi ! parce que j’embrasse Azénor ? L’Évangile ne dit-il pas : Faites à autrui ce que vous voudriez qu’il vous fît ? Donc, je fais à ma maîtresse ce que je voudrais qu’elle me fît ; donc, je suis plus chrétien que toi, Antonelli, qui, au rebours de l’Évangile, dis à tes frères de se manger les uns les autres !

— Wilhem, tu n’es qu’un âne ! — s’écria le légat du pape avec impatience. — Réponds, mécréant, manges-tu du porc ?

— Oui, le matin avant de partir pour la chasse, j’aime fort une tranche de jambon arrosée de vin vieux.

— J’aime aussi beaucoup le porc, — dit dans son hébêtement d’ivrogne le sire de Beaugency les coudes sur la table, son front dans ses mains ; — mais j’aimerais mieux savoir ce que fait à cette heure ma femme Capeluche !

— Ce Radulf est ivre comme grive en automne, — dit le légat du pape en haussant les épaules ; — mais réponds, Wilhem ; ainsi, tu manges du porc ? Eh bien ! l’infidèle, le Sarrasin, l’hérétique, le juif, tous mécréants en dehors de la communion catholique, n’ont pas plus d’âme que le porc, ne sont pas plus nos prochains que le porc ; donc, en les mangeant, ce n’est point son prochain que l’on mange ; mais une manière de porcs, de bêtes immondes et ensabattées sous figure humaine… Et là-dessus remplis ma coupe, mon mignon, — ajouta le légat du pape en se tournant vers son jeune esclave noir, auquel il pinça les joues. — Et toi, Wilhem, oseras-tu soutenir maintenant que le Sarrasin, l’hérétique, le juif sont nos semblables ?

— Pardieu ! en ce qui touche la juiverie, tu prêches un converti, — reprit Wilhem, tandis qu’Azénor, attentive et de plus en plus