Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 7.djvu/6

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les, et alors commandé par Bohemond, prince de Tarente, disparaît lentement là-bas, là-bas, au milieu de ces épais nuages de poussière soulevés par la marche des croisés. Puis viennent éparpillés à la débandade une longue suite de traînards, de blessés, de malades, de malheureux mourants de soif, de chaleur, de fatigue ; ils tombent çà et là dans ce désert sans bornes pour ne plus jamais se relever. Parmi ces traînards, les moins à plaindre sont ceux qui, ayant perdu leurs chevaux, ont bravement enfourché un âne, un bœuf, un bouc, voire même quelqu’un de ces grands dogues de Syrie hauts de trois pieds ; ils s’en vont ainsi au pas de leurs grotesques montures, l’épée sur la cuisse, la lance derrière le dos. Afin de se préserver de la dévorante ardeur du soleil qui, tombant d’aplomb sur le crâne, cause souvent la folie ou la mort, ils portent des coiffures étranges : ceux-ci s’abritent sous un morceau de toile tendue sur des bâtons, qu’ils tiennent de chaque main comme une sorte de dais ; d’autres, mieux avisés, ont tressé avec les feuilles desséchées du dattier de grands chapels qui projettent l’ombre sur leur figure. Les plus nombreux portaient des espèces de masques, faits de lambeaux de toile et percés d’un trou à la hauteur de l’œil, afin de préserver leurs paupières de la poussière, si brûlante, si corrosive, que souvent à une inflammation douloureuse succédait la perte de la vue. À une longue distance de ces croisés aux montures grotesques, venaient les piétons, enfonçant jusqu’à mi-jambe dans les sables mouvants, dont le contact cuisant rendait intolérable l’excoriation de leurs pieds mis à vif par les fatigues de la route ; les blessés, les membres enveloppés de chiffons sordides, cheminaient péniblement appuyés sur des bâtons ; des femmes haletantes portaient à dos leurs enfants ou les traînaient entassés, sur de grossiers traîneaux, qu’elles tiraient après elles, à l’aide de leurs maris. Parmi ces malheureux presque tous déguenillés, on en voyait de bizarrement accoutrés : les uns à peine vêtus d’une mauvaise souquenille coiffaient un riche turban d’étoffe orientale ; d’autres de qui les chausses trouées laissaient voir