Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 7.djvu/80

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jeter parmi les Sarrasins une telle épouvante qu’elle paralyserait leur résistance acharnée et qu’ils n’oseraient plus combattre de peur de tomber morts ou vivants entre les mains des soldats du Christ et d’être dévorés par eux.

Oui, fils de Joël, celui qui écrit ceci a entendu de ses oreilles les paroles du prince de Tarente, paroles orthodoxes puisque Baudry, l’archevêque de Dôle, avait dit : — qu’il n’était pas imputé à crime de manger des Sarrasins, parce que c’était guerroyer contre avec les dents. — Oui, fils de Joel, celui qui écrit ceci a vu de ses yeux le roi des truands et ses hommes, obéissant aux ordres du prince de Tarente, s’emparer du fils de l’émir, et, tandis que des soldats contenaient les autres prisonniers pour les forcer d’assister à cet effroyable spectacle, le jeune Sarrasin fut égorgé, vidé, mis à la broche et rôti devant le brasier du bûcher qui venait d’être le théâtre du miracle de Pierre Barthelmy et du supplice d’Azenor la juive ; oui, Fergan a vu de ses yeux cette monstruosité, oui, et cela en présence des seigneurs croisés, du légat du pape et du clergé ; le fils de l’émir fut grillé, puis dévoré jusqu’aux os par les truands de Corentin-nargue-Gibet, assistés d’autres misérables poussés, par une forfanterie féroce, à prendre part à ce festin d’anthropophages ; après quoi le père de la victime et ses compagnons, délivrés de leurs liens, furent laissés libres… De cette liberté, le vieux Sarrasin ne profita pas : il tomba mort de douleur et d’épouvante avant la fin du supplice de son fils ; l’un des Sarrasins devint soudainement fou de terreur, et les deux autres s’enfuirent éperdus de cette ville maudite, au moment où des messagers de Godefroy, duc de Bouillon et de Basse-Lorraine, venaient avertir Bohemond qu’il eût à partir sur l’heure avec son armée pour rejoindre sous les murs de Jérusalem les troupes de Godefroid, qui s’apprêtaient à commencer le siége de la ville éternelle. Aussitôt les clairons sonnèrent dans la ville de Marhala, les cohortes se formèrent, et l’armée du prince de Tarente ayant laissé garnison dans la cité sarrasine, se mit en marche pour Jérusalem en chantant ce re-