Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 7.djvu/9

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ainsi endosser son harnais de guerre si venait l’heure du combat, au lieu de supporter durant une longue route le poids accablant de ses armes. Après les écuyers s’avançaient, conduits par des esclaves noirs enlevés aux Sarrasins, les mules et les chameaux chargés des bagages et des provisions du duc d’Aquitaine ; car si la faim, la soif, la fatigue, décimaient la multitude, les seigneurs croisés, grâce à leur richesse, échappaient presque toujours aux privations ; ainsi l’un des chameaux de Wilhelm IX était chargé de plusieurs sacs de citrons et de grosses outres remplies de vin et d’eau, ressources inestimables pour la traversée de ce désert torride. Environ trois cents hommes d’armes fermaient la chevauchée du duc d’Aquitaine ; ces cavaliers, seuls survivants à peu près de mille guerriers partis pour la croisade, habitués aux combats, rompus à la fatigue, bronzés par le soleil de Syrie, bravaient depuis longtemps les dangers de ce climat meurtrier ; leur lourde armure de fer ne pesait pas plus à leurs corps robustes qu’une casaque de toile ; le dédain du péril et la férocité se lisaient sur leurs traits farouches ; plusieurs d’entre eux portaient à l’arçon de leur selle, en manière de sanglant trophée, des têtes de Sarrasins fraîchement coupées, suspendues par l’unique mèche de chevelure que les mahométans conservent au sommet du crâne. Les cavaliers du duc d’Aquitaine avaient pour armes une forte lance de frêne ou de tremble à banderolles flottantes, une longue épée à deux tranchants et, à l’arçon de leur selle, une hache ou une masse d’armes hérissée de pointes ; boucliers ovales, hauberts ou jaques de mailles d’acier, casques, brassards, cuissards, jambards de fer, telle était leur armure. La troupe de Wilhelm IX traversait rapidement les groupes de traînards lorsqu’une main blanche et effilée entr’ouvrit les rideaux de la litière, auprès de laquelle chevauchait le duc, et une voix lui dit : — Wilhelm, j’ai soif.

— Azenor a soif ! — reprit le croisé en arrêtant son cheval, et s’adressant à Gauthier-sans-Avoir : — Va vite chercher à boire pour ma maîtresse ; je connais l’impatience de toutes les soifs ! point ne faut