Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 8.djvu/166

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air suppliant sur Mazurec, qui, non loin d’elle, aiguise sur une pierre les pointes acérées d’une fourche de fer en murmurant à demi-voix : — Guillaume tarde bien à revenir de Paris ; nous l’attendons pourtant pour commencer la tuerie !…

Et Mazurec continue d’aiguiser silencieusement sa fourche ; il est hideux à voir… Devenu borgne depuis son duel judiciaire contre le chevalier de Chaumontel, ses paupières renfoncées, flasques et à demi closes laissent apercevoir entre elles, au lieu du globe de l’œil, une cavité sanguinolente ; son nez, aplati, écrasé, est couturé de cicatrices violettes comme sa lèvre supérieure, fendue en deux, qui découvre ses dents à demi brisées. Ses longs cheveux touffus, hérissés, tombent sur les lambeaux de son sayon de poil de chèvre, d’où sortent ses bras nerveux et décharnés. Aveline, attachant toujours son regard suppliant sur son mari, lui dit d’une voix affaiblie :

— Mazurec, tu ne me réponds pas… Je t’en conjure, promets-moi que si, avant de mourir, je mets au monde mon enfant… tu ne le tueras pas !

— Je ne sais, — dit le vassal d’une voix sourde en continuant d’aiguiser sa fourche ; — je ne promets rien…

— Il le tuera, dame Alison ! — s’écrie Aveline en pleurant et cachant sa tête dans le sein de la cabaretière ; — il tuera l’innocente créature !

— Tais-toi ! — reprend Mazurec avec un regard de tigre qui rendit son effrayante figure plus effrayante encore, — tais-toi, mauvaise femme ! tu es fière d’avoir un enfant de ton seigneur !

À cet affreux reproche, Aveline pousse un sanglot convulsif, et Alison, indignée, s’écrie :

— Malheureux fou ! n’avez-vous pas de honte ; vous serez cause de la mort de votre femme !

— J’aimerais autant la voir morte que vivante, maintenant qu’elle porte cet enfant dans son sein… Mais il ne verra pas le jour… je l’étoufferai, ce fils de noble !