Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 8.djvu/23

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qu’il plaça près de lui et commença de faire honneur au repas.

— Ainsi, messire chevalier, — lui dit Alison, — vous venez de Paris ?

— De grâce, belle hôtesse, ne m’appelez pas messire chevalier ; je suis de race roturière et non point noble. Je me nomme Mahiet ; mon père est marchand libraire, et moi avocat d’armes, ainsi que vous le prouve mon harnais de bataille.

— Il serait vrai, — dit Alison en joignant les mains avec une heureuse surprise, — vous êtes avocat combattant ?

— Oui, et je n’ai point encore perdu de cause, puisque l’on ne m’a pas coupé, vous le voyez, le poing droit, désagrément réservé à tout avocat vaincu en duel judiciaire… Souvent blessé, j’ai du moins toujours rendu à mes adversaires une fève pour un pois. J’ai su à Paris que l’on donnait ici un tournoi, et pensant que, selon la coutume, il y aurait peut-être, avant ou après les passes d’armes, quelque combat judiciaire où je pourrais remplacer l’appelant ou l’appelé, je suis à tout hasard venu en cette ville. Or, comme cabaretière, vous devez être renseignée sur bien des choses de céans et je…

— Ah ! messire avocat, c’est le ciel qui vous envoie.

— Le ciel ?… Il se mêle, je crois, fort peu de mes affaires.

— Sachez que, pour mon malheur, j’ai un procès !

— Vous, belle hôtesse ?

— Il y a trois mois, j’ai prêté douze florins à Simon-le-Hérissé ; quand je lui ai redemandé la somme, l’indigne larron a nié sa dette. Nous sommes allés par devant messire le sénéchal ; j’ai soutenu mon dire, Simon a soutenu le sien. Il n’y avait de témoins ni pour ni contre nous, et comme la dette contestée s’élevait au dessus de cinq sous, le sénéchal a ordonné le duel judiciaire.

— Et vous n’avez trouvé personne pour être votre avocat d’épée contre Simon-le-Hérissé ?

— Hélas ! non, car il est, à cause de sa force et de sa méchanceté, redouté dans tout le pays.