Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 8.djvu/236

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Agnès-la-Béguine, vieille servante du logis, entra précipitamment, et s’adressant à Denise qu’elle avait vue naître : — Tu ne sais pas ce que depuis une heure je remarque dans la rue ?

— Quoi donc, Agnès ?

— Trois hommes de méchante mine ne quittent pas les abords de la porte ; je les ai épiés à travers les volets entr’ouverts ; tantôt ils paraissent se consulter à voix-basse… tantôt ils se séparent, l’un se tient alors à gauche de la porte, l’autre à droite et le troisième en face de la maison… Il faut qu’ils soient placés là afin d’épier les personnes qui peuvent entrer ou sortir d’ici.

— Cet espionnage me semble inquiétant ; j’en avertirai ma tante dès son retour.

— La voici peut-être ? — répondit la servante. — J’ai entendu ouvrir et fermer la porte du magasin.

En effet, Marguerite Marcel parut bientôt dans la chambre, jeta loin d’elle une mante à capuchon dont elle était revêtue et dit à Agnès-la-Béguine :

— Laisse-nous…

La femme du prévôt des marchands tomba assise sur un siége, brisée par la fatigue et l’émotion. Son accablement, la pâleur de son visage, la palpitation de son sein, redoublèrent les appréhensions de Denise ; elle s’apprêtait à interroger sa tante, lorsque celle-ci, faisant un grand effort sur elle-même, se calma et dit à Denise d’une voix ferme :

— Du courage, mon enfant, du courage !

— Ô ciel !… ma tante, avons-nous donc quelque malheur à déplorer ?

— Non… quant à présent ; mais demain, mais ce soir peut-être… — Et, s’interrompant, Marguerite reprit d’un ton de plus en plus calme et décidé : — J’ai payé tribut à la faiblesse ; je me sens forte maintenant ; je suis préparée à tout… Je saurai m’élever du moins par la résignation jusqu’à la hauteur de l’homme dont je n’ai jamais